Chronique|

Une nuit à Huayllaccocha

Le village de Huayllaccocha est situé à une heure de la ville de Cusco.

CHRONIQUE / Après avoir dompté l'altitude du Pérou et m'être endolori les mollets au canyon de Colca, j'ai migré vers la très touristique ville de Cusco, point de départ de bien des touristes vers le populaire Machu Picchu.


De l'autre côté de ce lac, les Péruviens envisageaient de construire un aéroport international.

Cusco, c'est LA ville du tourisme au Pérou. Encore plus que Lima. Une ville comme toutes les autres villes, avec l'âme dissoute entre les commerces ouverts pour plaire aux étrangers. Une ville comme toutes les villes, où on se doute bien que les femmes revêtent l'habit traditionnel, promènent leur alpaga dans les rues simplement pour quêter quelques dollars. Cusco, où l'altitude se fait sentir pour chaque escalier à gravir, c'est se faire assaillir toutes les deux minutes pour des massages, des tours guidés, des bouffes à prix dérisoire, encore des tours et encore des massages. La sollicitation, elle est surabondante à proximité de Plaza de Armas.

J'étais donc loin de me plaindre quand j'ai quitté la frénésie « urbaine » en direction du sentier des Incas, cette piste mythique de 45 kilomètres qui sillonne les Andes pour aboutir au Machu Picchu. Mais avant de s'user les rotules à grimper des marches de pierres inégales, les huit randonneurs que nous étions allions passer une journée au village de Huayllaccocha dans la maison d'un de nos porteurs.

Les porteurs, ce sont ces individus transportant le matériel de camping et de cuisine sur le sentier des Incas. Les voyageurs qui mettaient la main dans leur poche pouvaient aussi leur demander de s'occuper de leurs bagages.

La minifourgonnette dans laquelle nous prenions place s'est emportée sur les routes principales jusqu'à atteindre un chemin terreux et cabossé. Tout à coup, nous nous enfoncions loin des civilisations largement influencées par l'Occident. Tout à coup, la nature reprenait ses droits, quelques bicoques chancelantes étant disséminées çà et là, entre des enclos où se prélassent quelques porcs paisibles.

Peu achalandée, ladite route compte comme principaux utilisateurs des boeufs, des mules aussi, pourchassés par des femmes menues qui les menacent d'un simple bâton. Les collines verdoyantes sont à crever les yeux. Elles s'élèvent d'un côté alors qu'un lac lèche des montagnes et des plaines de l'autre côté. Le fourgon s'immobilise. Trop de beauté pour ne pas en croquer quelques clichés.

Notre guide du moment nous pointe l'horizon, des plaines agricoles de l'autre côté de l'étendue d'eau. Là où le soleil plombe, nous construirons un aéroport international, lance-t-elle. Ce sera très bon pour l'économie de la région. Médusés, les touristes en nous, qui justifions de paver tous ces champs de béton, secouons la tête. Pourquoi?

Plus loin, devant une tranchée dans le chemin de terre, nous sommes appelés à descendre du véhicule. Nous parcourrons les champs que laboure une femme en compagnie de ses bêtes. En apercevant les visages blancs, elle se précipite sur son panier de fèves de Lima. À bout de bras, elle le tend pour être bien certaine que tout le monde s'en prendra une généreuse portion. Sourire malicieux, elle guette ensuite la réaction de ses invités du moment.

Plus bas, un groupe de garçons se chamaillent, leurs visages étant tachés de poussière et de terre. Aussitôt les lentilles braquées sur eux, ils s'élancent pour s'assurer qu'on les immortalisera tous. Et dans la pagaille des gamins que nous laissons derrière, nous nous dirigeons vers un champ de maïs, où un homme âgé, seul, retire les mauvaises herbes. Remontant nos manches, nous lui prêtons main-forte en grossissant la pile de détritus à vitesse grand V. En échange, il nous permet de goûter la chicha, une boisson à base de maïs fermenté.

En soirée, nous avons pris le repas dans la demeure d'un porteur de 62 ans. Nous nous sommes assis dans la petite cuisine sans fenêtre, où nous avons pelé les fèves de Lima, pendant que la conjointe de notre hôte faisait bouillir de l'eau sur le poêle à bois rudimentaire bâti à même le sol et les murs de la maison.

L'une d'entre nous partageait son siège avec trois ou quatre poulets qui picoraient sous la table. À nos pieds, sur le sol lui aussi en terre, une demi-douzaine de cochons d'Inde, élevés pour leur viande, grignotent tous les restes qu'ils peuvent trouver.

Une bonne soupe plus tard, nous nous déplaçons vers ce qui semble être la chambre à coucher, où une vingtaine d'enfants du village nous attendent. Tour à tour, ceux qui le souhaitent entonnent une chansonnette à la lueur faible de la seule ampoule de la pièce. Puis, les moins timides s'élancent vers les étrangers pour les inviter à danser. En échange, avant de quitter, nous leur distribuons des sucreries et du pain, des gâteries qui se rendent rarement jusqu'au village.

Il est à peine passé 21 h quand nous allons au lit, dans nos tentes érigées sous un ciel étoilé que les villes éloignées ne tapissent pas de leur pollution lumineuse. Au son des hordes de chiens qui japperont toute la nuit, nous trouvons finalement le sommeil.

Les villes, c'est parfait pour s'acclimater, mais j'ai cru apercevoir le vrai Pérou seulement à partir de mon passage à Huayllaccocha.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.