:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/ZWREBVY4VNDR5HFESKNI7RS4CM.jpg)
Ç'a marché? Peut-être. Peut-être pas. Mais je sympathise avec ceux qui cherchent encore dans quelle langue se répéter pour que le message passe enfin. Je l'ai écrit mais je sens le besoin de répéter, de revenir à la charge, d'insister : aimer voyager n'est pas forcément le symptôme d'un malaise, d'un mal de vivre, d'une fuite. Partir, c'est souvent un signe de curiosité et d'ouverture. Et non, ce n'est pas dans les goûts de tout le monde.
Dieu qu'il semble difficile de comprendre que tous ne définissent pas le bonheur de la même façon. « Oui mais pourquoi il serait toujours ailleurs, le bonheur? » que tu me demandes.
Parce que s'il n'y a pas qu'en forêt qu'on peut voir des arbres, c'est quand même là qu'on est certain d'en trouver. Parce qu'il faut parfois faire l'effort de sortir de son carré de sable pour se tremper les pieds dans la mer. Parce que le bonheur n'est pas toujours ailleurs, mais qu'on ne doit pas s'empêcher de varier les chemins pour atteindre une même destination. Juste pour faire changement, des fois, et se rendre compte qu'on n'est pas obligé de toujours regarder le vent d'en face.
« Oui mais tu es toujours parti. Ce n'est pas ça la vraie vie... » Ha bon? La vraie vie c'est quoi? C'est celle de qui?
Oui, je t'avoue que j'en ai un peu marre de me faire faire la leçon par des psychologues à cinq cennes qui me répètent que ça ne tourne pas rond, qu'on peut très bien s'informer sur le monde en gardant ses distances, et qui remettent en doute, entre autres choses, la valeur des amitiés tissées à l'étranger.
J'ai pris la résolution de partir quelque part au début des années 2000, dans le cours d'histoire de M. Berthiaume, au cégep. À travers ses exposés toujours denses, il diffusait des photos de Rome, de Venise, qui m'ont donné envie de me tenir là où d'autres civilisations se sont établies des siècles avant nous. C'est ça, le mal de vivre?
En achetant mon premier billet d'avion, je me suis assuré de consacrer une portion de mon itinéraire à l'Italie. J'ai marché dans le Colisée. J'ai parcouru une bonne partie des berges de Venise.
J'ai compris un tas de choses que les livres ne m'enseignaient pas, par les odeurs des rues, par la couleur du ciel, par l'accent chantant des gens. J'ai vécu l'Italie comme jamais on n'aurait pu me la raconter.
On peut parler d'égoïsme, quand je tiens à voir le Taj Mahal devant moi plutôt que de l'admirer en photo. Quand je veux entendre le piaillement des foules dans une médina du Maroc ou que je veux sentir le soleil de Petra me chauffer la peau.
Mais j'ai besoin de voir, de toucher, de sentir. De discuter aussi, pour que les manchettes internationales ne soient pas que des lettres noircies sur du papier à recycler. Pour qu'un jour on arrive à traiter tous les êtres humains sur le même pied d'égalité.
Même cégep, cours de géographie. C'était la première fois que j'entendais parler de la Birmanie. Il a fallu attendre dix ans avant que je colle une image sur le nom de ce pays inconnu. Les temples de Bagan attiraient mon attention dans un Lonely Planet.
Qui, aujourd'hui, parle du génocide des Rohingyas, un peuple musulman de Birmanie? Si je ne m'étais pas rendu moi-même en Asie du Sud, je n'aurais probablement pas porté une grande attention aux conflits qui s'y dessinent. Ils sont devenus concrets.
J'ai discuté avec un enfant de la guerre de Bosnie. J'ai rencontré des orphelins du génocide du Rwanda. J'ai laissé une amie japonaise m'enseigner les bains publics traditionnels à Tokyo. J'ai été invité à la table d'Alsaciens qui me racontaient fièrement leur gastronomie. Et après? Après, les gens, ils racontent l'histoire autrement. Autrement que dans les livres.
Je me plonge dans des univers qui ne sont pas le mien, qui remettent en question le modèle dans lequel nous vivons, le confortent aussi parfois. Je m'oblige à me mettre en danger, à reconsidérer mes perspectives, à voir les arbres derrière la forêt. J'essaie de les juger à leurs fruits, et non à leur nombre ou à ce qu'on m'en avait dit. Moi, j'en ai besoin.
Savais-tu que des gens nient l'existence de l'Holocauste? Que d'autres s'intéressent peu aux guerres, aux maladies qui secouent l'Afrique? Parce que c'est loin. Parce qu'on ne connaît personne là-bas.
Les camps de concentration d'Auschwitz, les images des tests pratiqués à Dachau, les récits des survivants du génocide rwandais ne laissent personne indifférent. Ils font vibrer une corde qui remue sans cesse par la suite, une fois qu'ils ont été là, devant nous. Quand ils sont plus que des pages qu'on tourne dans un livre d'histoire, une image sanglante qu'on zappe pour qu'elle nous happe avec moins de violence, une douleur lancinante nous serre le coeur, nous sonne la cloche de la cathédrale.
Moi, je suis de ceux qui ont besoin de voir.
Alors ce qui me ferait plaisir, tu sais, c'est que tu acceptes que tu te trompes peut-être quand tu me regardes avec tes gros yeux en me disant : « Tous ces voyages, ça cache quelque chose! » Que tu te remettes en question et que tu considères que la recette du bonheur n'est peut-être pas universelle. Que peut-être t'as le droit de ne pas comprendre que j'aie une autre idée du bonheur.
Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com.