Incursion dans l'univers des Twas

Le village Twa de Makanga, à la frontière du Rwanda et de l'Ouganda, se trouve à la droite de ce chemin de terre, dans une plantation de fèves.

CHRONIQUE / La brume s'était à peine levée sur le lac Bunyonyi, au sud de l'Ouganda. Les pirogues de bois creusé fendaient la surface miroir du cours d'eau. De temps en temps, dans les chemins de terre près des hôtels, un villageois passait avec son panier de victuailles.


Quand des touristes se pointent, les Twas de Makanga interprètent des chants de bienvenue et proposent des danses traditionnelles.

À part les corbeaux qui criaient, il n'y avait que bien peu de bruit pour troubler le silence. Il y a bien eu ce porcelet, apeuré, qui s'est époumoné de tout son saoul pendant qu'un homme lui attachait une patte à un pieu de bois. On aurait cru son dernier jour arrivé. Dès qu'il a pu recommencer à se gaver, il a laissé le calme retomber.

Ce matin-là, un jeudi de marché, le porc n'était pas au menu. Là où les insulaires accostaient pour remplir leur embarcation de victuailles, ce sont les chèvres qui avaient le plus à craindre. L'une d'entre elles, entraînée à l'écart par un homme qui venait de procéder à une transaction, ne verrait plus la brume sur le lac. On annonçait sa fin, là, sur un quai, alors que je montais dans l'une des pirogues de bois.

Pendant une heure, à la seule force des bras d'un pagayeur, j'ai traversé une partie du lac pour atteindre la cabine où je passerais la nuit. La promenade, lente, permettait de prendre la mesure d'une vie qui s'écoule à un rythme bien différent de celui de la maison.

Sur le lac Bunyonyi, les familles se déplacent dans des bateaux rudimentaires chargés à rebord. De temps à autre, passent ceux plus fortunés, confortablement installés dans leur chaloupe à moteur. Des femmes, dans leurs magnifiques habits colorés, bien mises, rament sans suer une goutte, là où je me serais épuisé après deux ou trois impulsions.

On aperçoit aussi les bûcherons, qui déboisent les rives pentues des îles et qui, avec d'énormes scies, découpent manuellement des planches dans les troncs des arbres fraîchement tombés.

À part la contemplation du lac et une visite à l'île des femmes enceintes, un simple lopin de terre au milieu de nulle part où on abandonnait à leur sort les futures mères sans mari, au lac Bunyonyi, on nous propose de rendre visite à un village de Twas, qu'on appelle aussi les pygmées.

Les Twas, un peuple des forêts forcé de s'installer dans les régions agricoles en raison de la déforestation, comptent entre autres sur les touristes pour subvenir à leurs besoins. Les avis divergent à savoir s'il faut ou non débarquer dans ces villages pour découvrir un peuple comme s'il était une attraction touristique.

Sommes-nous voyeurs? Exploitons-nous la pauvreté des autres au nom de la différence et des chocs culturels? J'ai néanmoins choisi de visiter les Twas du village de Makanga, près de la frontière avec le Rwanda. Il fallait d'abord traverser presque tout ce qu'il restait du lac. Cette fois, pas question de ramer. Le bateau à moteur a mis une bonne heure avant d'accoster. De la grève, il faudrait marcher une autre heure pour trouver Makanga.

Seul avec mon guide, j'ai sillonné les routes boueuses bordées de champs et de maisons rudimentaires. Pendant que les femmes bêchaient, les enfants s'amusaient timidement là où elles pouvaient encore les voir. Sauf quand ils apercevaient le muzungu, l'étranger, Blanc, étrangement égaré par là.

Les grappes de deux, trois maisons se succédaient dans les collines verdoyantes. Puis, mon guide s'est arrêté, a pointé un champ de fèves qui grimpait le flanc d'une de ces collines. « C'est ici! »

Du chemin, rien de trop visible. Pourtant, en longeant un sentier, on atteint quelques maisons. Des enfants surexcités nous guident, rivalisent pour tenir la main du muzungu, un géant parmi un peuple de constitution plus menue.

Le chaman accourt, sa casquette sur les yeux, en même temps qu'une aînée déjà prête à entamer les chants traditionnels. Rapidement, à l'appel du chaman, une poignée de la soixantaine de villageois se regroupe.

Pendant que les enfants piétinent, suivent le rythme, le chant de bienvenue s'élève. Suivent une danse traditionnelle et un chant de bénédiction. J'ai souri. Souri devant les marmots avec leurs t-shirts des Ninja Turtles importés d'on ne sait où. Souri devant la beauté des liens serrés de ces familles twas. Souri devant ces traditions d'une richesse infinie préservées par des hommes et des femmes d'une pauvreté relative.

J'ai souri devant leur fierté à présenter des poupées faites de brindilles séchées, des arcs confectionnés de brindilles et de cordes.

Quelques dollars suffisent. Ils joignent les mains en remerciant le ciel. « Vous êtes le deuxième à venir depuis septembre. Ils prient pour qu'on leur amène d'autres visiteurs. »

Deux heures pour l'aller. Deux heures pour le retour. Seulement quinze minutes à me mêler aux Twas que je trouvais tellement beaux. Quinze minutes que j'ai souhaitées le moins invasives possible. Quinze minutes qui m'ont réappris à sourire pour les choses les plus simples.

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