Chronique|

Les lions et les hippos

En plein jour, on se paie une croisière pour observer les hippopotames se baigner, les uns entassés sur les autres, dans le canal Kazinga en Ouganda.

CHRONIQUE / «Ici! », que j'ai dit au chauffeur du matatu en voyant poindre Katunguru, en Ouganda, sur le GPS de mon téléphone cellulaire. « Ici? », qu'il a répondu.


Je souhaitais qu'il me fasse descendre là, sur le bord de la route, parce que je voyais bien que mon hébergement ne se trouvait qu'à quelques centaines de mètres vers l'intérieur des terres. En attendant d'arriver au coeur du village, j'aurais été forcé de rebrousser chemin pour gagner le Bush Lodge, où j'avais réservé. Le chauffeur se montrait néanmoins un tantinet surpris.

En bordure de route, on apercevait deux ou trois maisons rudimentaires. Sous un gros arbre, quelques jeunes hommes rigolaient sur leur motocyclette. Si aucun d'entre eux n'acceptait de me conduire à destination, je marcherais. Quoique d'apercevoir des babouins et un sanglier géant sur la route, plus tôt, commençait à me dissuader. La présence possible de lions, combinée à la tombée du jour, me faisait douter.

Vous me direz qu'en motocyclette, contre un lion, je n'aurais probablement pas plus de chances de m'en tirer. Ne déconstruisez pas les arguments que je m'étais forgés pour me rassurer...

Une fois arrivé au campement, ce n'est pas contre les lions qu'on m'a mis en garde, mais contre les hippopotames. J'ai cru à une blague pendant cinq secondes, mais on n'entendait pas à rire. Dormir dans une tente avec une vue sur le canal Kazinga vient avec ses risques.

Le cours d'eau est effectivement peuplé de centaines d'hippopotames, des animaux apparemment très agressifs. Ils sont une des attractions du parc national Queen Elizabeth, où je me trouvais. En plein jour, on se paie une croisière pour les observer se baigner, les uns entassés sur les autres. Une fois la nuit tombée, on souhaite moins les croiser.

Au campement, un pavillon restaurant à aire ouverte avait été aménagé. On pouvait même manger en plein air. Mais pour retourner vers notre tente, il nous fallait absolument être munis d'une lampe de poche. Pour contrer une attaque d'hippopotame qui serait venu brouter le gazon dans les parages, il suffisait semble-t-il de diriger la lumière vers lui. Ça l'effraierait... Rien de mieux que la prévention.

Un employé nous escortait d'ailleurs jusqu'à notre tente alors que deux autres étaient postés stratégiquement sur le chemin menant au pavillon sanitaire. Toute la nuit durant, ils montent la garde pour éviter les événements fâcheux.

Se faire dire de prendre garde aux hippopotames, c'est comme avoir sept ans et croire qu'un monstre sortira du miroir si on répète trois fois la même formule. C'est marcher dans la nuit pour aller aux toilettes en avançant à un kilomètre heure et en secouant frénétiquement une torche de gauche à droite, au cas. C'est sursauter quand l'ombre provoquée par ladite torche donne l'impression qu'un gros animal nous fonce dessus.

Une fois la nuit passée, la crainte rationalisée, je suis sorti de la tente en saluant un des gardes qui avait passé la nuit debout. « Et puis, pas d'hippopotames, hein? » dis-je narquois.

« Oui, oui, regardez », dit-il en pointant derrière moi. À une vingtaine de mètres, une mère et son petit lourdaud mangeaient calmement. Sursaut!

Le soir même, ils étaient encore plus nombreux à envahir le campement alors que nous étions encore à manger à la belle étoile. Il y a quelque chose d'un tantinet exotique à prendre le dessert avec des hippos dans le paysage.

Quant aux lions, je ne les ai observés qu'à distance près du village de Kasenyi, de l'intérieur d'un véhicule pour les safaris. Le premier, tellement loin qu'il se fondait dans la broussaille, est devenu beaucoup plus visible quand une antilope s'est approchée d'un trou d'eau.

J'ai pu voir le félin se cacher derrière un bosquet, avancer à pas précautionneux... et bondir en direction de l'antilope, seule au monde. La petite bête a détalé en un rien de temps et elle aurait eu bien peu de chances si le loin avait été affamé. Le gros chat a abandonné la course avant même de s'essouffler et s'est roulé dans l'herbe. Pour nous, le spectacle avait tout de même été entier.

Quelques minutes plus tard, dans un autre secteur du parc, deux lionnes épuisées se reposaient en bordure d'une route en terre. Elles ne se souciaient pas une seconde de la présence de visiteurs. Cet aperçu m'a suffi amplement même si je n'ai pas eu la chance de voir les lions grimpeurs, qui dorment dans les arbres, un peu plus au sud, dans le secteur d'Ishasha.

À la lumière de cette chance inouïe, j'ai confirmé ce que je savais déjà : ces grands animaux sont bien plus beaux dans leur environnement naturel.

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