Plus jamais le génocide

À Kibuye, l'église Saint-Pierre a été témoin du génocide rwandais. Un mémorial a été aménagé et porte la mention «Never again», plus jamais.

CHRONIQUE / Kibuye, Rwanda. Le petit village paisible sur les rives du lac Kivu s'étend à travers les collines où le silence flirte avec les chants émanant d'une église de la Pentecôte, quelque part au pied des pentes. Plongée dans le silence, au sommet d'une de ces collines, l'église Saint-Pierre se tient immobile.


Trois enfants s'amusent avec un rien sur le parvis. Sinon, l'absence. Et un jardinier. L'église est vide. Devant, un mémorial simple, clôturé et cadenassé. Là où 11 000 Tutsis ont été massacrés en 1994, un présentoir contient quelques dizaines de crânes, bien visibles. Au-dessus, deux mots : « Never again ». Plus jamais!

« Après l'Holocauste, quand vous avez dit "plus jamais", est-ce que ça ne concernait qu'une certaine catégorie de gens? » J'ai souri tristement à la lecture de ces paroles d'un survivant tutsi écrites sur un mur du mémorial de Murambi, dans le sud du Rwanda. J'ai souri parce qu'elles résument parfaitement le ridicule d'une histoire qui se répète encore et encore.

On se rend au village de Murambi en une trentaine de minutes à partir de la ville universitaire de Huye, autrefois connue sous le nom de Butare. On s'enfonce vers la campagne, et au bout d'un chemin de terre, le mémorial se dresse là avec son allure désaffectée. Un moment, j'ai cru qu'on m'avait conduit au mauvais endroit.

Le musée, où j'étais le seul visiteur, avait connu de meilleurs jours. La plupart des pièces étaient plongées dans une semi-obscurité. Les téléviseurs censés cracher les récits des victimes ne fonctionnaient pas. Les grands écrans blancs ne s'animaient pas des films qui ont un moment retracé la malheureuse histoire récente du petit pays africain.

Murambi raconte malgré tout son histoire effroyable. Celle des milliers de Tutsis ayant fui au sommet de cette colline pour se réfugier dans une école. Les milices ont encerclé le monticule et ont lentement amorcé leur ascension. Prises au piège, les victimes se sont défendues en lançant des pierres et des briques, retardant tant bien que mal un massacre qui emporterait au moins 30 000 personnes. Certaines estimations font même état de 50 000 morts.

Certains des corps enterrés dans les fosses communes ont été déterrés. Plusieurs, enduits de chaux, sont entassés dans des anciens locaux de classe pour rappeler les horreurs du génocide. Là encore, des crânes trahissent la façon dont plusieurs vies ont été prises. Là encore, l'horizon courbe, verdoyant, d'une beauté et d'un calme infinis, tranche avec la violence dont il a été témoin.

Et il y a Kigali, bien sûr, où l'immense mémorial du génocide livre en des détails troublants les attaques dont les Tutsis ont été victimes. Tantôt, un enfant est laissé pour mort après avoir reçu un coup de machette à la tête, tantôt une femme se réfugie dans un plafond pour se protéger d'un voisin Hutu qui, jusque-là, travaillait sur sa terre en échange d'un petit pécule.

En plus de la mort qu'on répandait au rythme des machettes qui s'abattaient, on raconte l'humiliation, la déshumanisation. On raconte ceux qu'on étouffait en les entassant dans des fosses septiques, celles qu'on violait et qu'on épargnait pour les laisser vivre avec le sida. On prenait non seulement les vies de ceux qu'on torturait, mais on souillait leur âme au passage.

Ceux qui tiennent jusque-là peuvent aussi visiter la salle des enfants, celle de l'avenir perdu, où des photos de jeunes victimes sont exposées avec une courte biographie. Une biographie courte comme leur vie, qui ne manque pas de préciser comment leur histoire a pris fin. Ariane, quatre ans, a été tuée à coups de couteau dans les yeux. Aurore, deux ans, a été brûlée vive.

Comme un écho à ce survivant de Murambi, rappelant que l'Histoire ne cesse de se répéter, le musée aborde aussi d'autres génocides. La Namibie, l'Arménie, le Cambodge... et la Bosnie où, ironiquement, la guerre faisait rage en même temps qu'au Rwanda.

On en sort ébranlé, au point où il faut peut-être s'arrêter, enlacer le silence de la salle de recueillement prévue à cet effet, et réfléchir un instant aux atrocités qu'on nous a racontées.

Si on s'aventure dans le quartier musulman de Nyamirambo, toujours à Kigali, on trouvera de quoi se consoler un brin, alors qu'on nous racontera comment les Tutsis s'étant réfugiés dans les mosquées ont survécu. Croyant que les musulmans disposaient de pouvoirs spéciaux, les miliciens n'osaient pas entrer dans leurs lieux de prière.

Épargnés, certains survivants se sont convertis à l'islam et ont élu domicile là où le salut les attendait : à Nyamirambo.

Aujourd'hui, près d'un quart de siècle après le meurtre d'un million de Rwandais, les cartes d'identité ne font plus mention d'une appartenance aux peuples tutsi, hutu ou twa. Aujourd'hui, tous sont Rwandais, point. Et peut-être un jour, partout, tous seront humains, point. Peut-être un jour, partout, tous s'entendront sur le sens de ces mots : plus jamais.

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