Le karaoké et les genoux dans le front

Emprunter les modes de transport locaux, en Birmanie, c'est traverser des villages paisibles et photogéniques.

CHRONIQUE / Stratégie : dormir dans les transports publics, la nuit, permet d'économiser sur l'hébergement. Stratégie : dormir dans les transports publics permet de récupérer quand la fatigue s'est accumulée, même le jour.


Les routes de campagne de la Birmanie, ce sont les villageois qui se déplacent en groupe dans la boîte arrière d'une camionnette.

Ça, c'est quand on ne tient pas trop au confort ou qu'on voyage depuis un long moment. C'est quand on arrive à s'endormir en position assise.

À multiplier les déplacements dans un court laps de temps, j'avais pris l'habitude de m'endormir n'importe où. Mais même avec l'habitude, s'assoupir dans les autobus de Birmanie peut être bien difficile.

Quand le pays s'est ouvert au tourisme, on prévenait contre l'état lamentable des routes. Je me rappelle avoir lu qu'il faut prévoir un temps important pour franchir de courtes distances. C'est encore vrai pour certains trajets. Pas pour l'autoroute toute neuve qui relie Yangon, au sud, à Mandalay, au nord.

La route a beau être pavée de bitume tout neuf, le trajet d'une dizaine d'heures était insupportable. Dans le bus de première classe, avec gros fauteuil et la nourriture fournie, la climatisation en faisait plus que n'importe quel client aurait pu en demander. Dans un pays où le mercure donne des sueurs même la nuit, on ne croirait jamais se plaindre de l'air conditionné.

Si grelotter sous trois couches de manteaux ne suffit pas à vous garder éveillé, comptez sur le karaoké pour faire le travail. Minuit. La télévision, à l'avant du véhicule, crache une comédie musicale ou un vidéoclip interminable. Vous avez dit bouchons? Ils ne suffiront pas.

Et quand la frustration de ne pas dormir vous aura épuisé suffisamment pour vous engourdir un brin, la musique cessera. Victoire? Pas si vite! L'autobus s'immobilisera. Pause obligatoire. Tout le monde descend. On se fout bien que vous ayez enfin rejoint Morphée, que vous n'ayez ni faim ni soif et que le petit coin ne vous réclame pas. Vous attendrez sur le trottoir que le chauffeur reprenne place derrière le volant avant de remonter à bord.

Je n'oserais pas dire que la première classe soit le pire choix que l'on puisse faire en Birmanie. Il reste que les taxis partagés, ces espèces de minifourgonnettes mal identifiées, bien que moins confortables, permettent davantage de se plonger dans la réalité du pays.

Avec un ami, je souhaitais relier le lac Inle et Loikaw, une ville que les touristes n'ont pas encore prise d'assaut. Un chauffeur nous a conduits au croisement de deux routes en nous faisant signe d'attendre. Au bout d'un moment, la minivan s'est arrêtée, on a ficelé grossièrement nos sacs à dos sur le toit et on nous a laissés monter sur les bancs de derrière.

Pour les sept heures qui suivraient, moi qui suis pourtant très loin de la taille d'un géant, je chercherais une position qui m'empêcherait d'avoir les genoux dans le front. Rapidement, en activant le GPS de son téléphone, mon ami constaterait que nous circulions dans la mauvaise direction. Nous ne prenions pas la route directe.

Toute la journée durant, le passe-temps le plus intéressant consistait à regarder par la fenêtre. Il y avait tous ces villages qui défilaient. Les montagnes qui s'élevaient et plongeaient devant nos yeux. Ces arrêts improvisés, au milieu de nulle part, pour laisser descendre un passager ou pour ramasser un paquet. Parce que le chauffeur, il agit aussi comme commissionnaire, de toute évidence.

Nous nous sommes arrêtés dans un restaurant de bord de route qu'on pourrait plutôt décrire comme une grande cabane de bois sans devanture. Pour atteindre les toilettes, ou plutôt les bécosses, on traversait la cour et le jardin et on pouvait s'arrêter pour admirer les énormes porcs dans leur enclos. Oubliez l'eau courante. Il n'y en avait pas.

Le véhicule s'est immobilisé devant une énorme cour d'école, au milieu de nulle part. Voir jouer les enfants m'a fait sourire. Trop souvent, j'avais envie de sortir le bras par la fenêtre pour photographier la vie de ces villages sans nom, simplement pour immortaliser le quotidien qui me fascinait.

Nous avons vu descendre tous ceux qui étaient montés avant et après nous dans le taxi partagé. Nous avons attendu que des hommes déchargent d'énormes sacs qui avaient eux aussi été attachés sur le toit. Nous avons finalement atteint notre destination, après une journée complète en transit, avec l'impression d'avoir exploré tout un coin de pays malgré tout.

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