Nefta, sud-ouest de la Tunisie, aux portes du Sahara, sous un ciel obscurci depuis que le soleil a disparu, un peu passé 17 h. Les voitures s'immobilisent à l'entrée de la médina et nous nous enfonçons dans les ruelles désertes. Les luminaires, çà et là, combattent l'obscurité tant bien que mal.
L'ambiance, plus calme que calme, paraît propice à l'introduction d'un film d'action.
Là, à l'abri d'une maison du 17e siècle ayant déjà servi de faculté d'architecture, se déroule la première édition du Festival international de musique sacrée Rouhaniyet. Une première édition, avec tout ce que ça suppose de surprises, d'inattendu, d'imperfection et de magie spontanée.
Nefta compte une population de moins de 30 000 personnes. En Afrique du Nord, il s'agirait de la deuxième ville comptant le plus de mosquées au prorata de la population. C'est du moins ce qu'on nous indique à notre arrivée. On ne s'attend donc pas à ce que la ville soit prise d'assaut par des dizaines de milliers de festivaliers.
Le festival arrive comme une récompense après les récoltes, la saison des dattes ayant pris fin quelques semaines, voire quelques jours plus tôt. La musique sacrée, qui ne résonne jamais dans les mosquées, se trouve plutôt dans les maisons, partout.
On s'imagine des odes interminables, des chants religieux contemplatifs, profonds, quasi méditatifs. Mais la musique sacrée que les Tunisiens laissent entrer dans leurs maisons, elle inspire surtout la fête, la danse, la joie.
Dans la cour intérieure où la petite scène a été érigée, une centaine de personnes, peut-être un peu plus, s'est réunie pour accueillir les troupes de l'Algérie, du Maroc, de la France ou de la Turquie. Deux palmiers parallèles s'élèvent vers un ciel qui laisse entrevoir quelques étoiles. Au mur, une banderole annonce « Allah is beautiful and love is beautiful ».
Perché au deuxième étage, une vue en surplomb, je m'imprègne de l'atmosphère du festival pour la première fois, à peine deux heures avant la conclusion de l'événement.
Une troupe d'une quinzaine de chanteurs, de musiciens, fait son entrée en psalmodiant. Le groupe s'installe en demi-cercle; les voix s'élèvent et emplissent la pièce. Une femme s'avance et amorce des rondes, tourne sur elle-même à une vitesse grandissante.
Les voix, les respirations qui s'ajoutent aux rythmes comme des instruments, les tambourins qui s'entremêlent, captivent, commandent une attention totale. La musique enveloppe; les rondes hypnotisent.
La troupe turque, avec ses derviches tourneurs, aurait pu à elle seule remplir le programme de toute une soirée tant elle était captivante.
Et après, il y avait un peu de nous, un peu du Québec au coeur des oasis. La soprano Raphaëlle Paquette et le violoniste baroque Olivier Brault avaient traversé tout un océan pour gagner un monde bien loin de celui dans lequel ils ont l'habitude de se produire.
Le programme de musique spirituelle, passant de Händel à Vivaldi, a tôt fait de saisir le public tunisien. Rares étaient ceux qui avaient même déjà entendu des airs de musique baroque. Ils l'ont avoué sans détour quand la chanteuse, originaire d'Ayer's Cliff, a pris le pouls de l'assemblée.
À l'annonce d'un opéra de Purcell racontant le mort de la reine de Carthage, la foule a poussé des « oh! ». On devinait que l'opéra ne s'était pas souvent frayé un chemin jusqu'au désert tunisien.
En clôture de festival, les Gnawas, des Marocains festifs, ont envahi le plancher de leurs danses traditionnelles, faisant s'entrechoquer de petites cymbales. Une fois les rythmes de tambours lancés, ils étaient pratiquement impossibles à arrêter, les tarbouches posés sur leur tête suivant les battements incessants.
Alors que la première édition de l'événement prenait fin, qu'il était trop tôt pour évoquer une deuxième mouture, nous repartions dans le labyrinthe désert et obscur de la médina. Seules les lueurs blafardes occupaient encore les rues à cette heure tardive.
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Le journaliste était l'invité de l'Office national du tourisme tunisien et de Tunisair.