Chronique|

Le défi de quitter l'Albanie

À quelques minutes du centre historique de Shkodër, la campagne albanaise, où se côtoient les mosquées et les églises catholiques, donne l'impression de plonger dans un tout autre monde.

CHRONIQUE / On sait en général peu de choses de l'Albanie, petit pays des Balkans, situé au nord de la Grèce et au sud du Monténégro. C'est d'ailleurs la raison évoquée dans le film Des hommes d'influence, paru à l'approche des années 2000, pour créer de toute pièce une fausse guerre qui détournera l'attention du peuple américain d'un scandale politique.


Je ne connaissais que peu de choses de l'Albanie, si bien que je n'ai pas songé une seconde à y faire un détour quand j'ai planifié une escapade au Monténégro voisin. Mais voilà, à cheval sur la frontière des deux pays se trouve le lac Skadar, un incontournable pour sa grande beauté. Et sur la rive sud, la petite ville de Shkodër vaut apparemment le détour. À travers le temps, elle a d'ailleurs fait l'objet de conflits entre le Monténégro et l'Albanie.

Quand j'ai lu qu'il s'agissait aussi probablement d'une des villes les plus anciennes d'Europe, j'ai pris les arrangements pour aller y passer une journée. C'est bien peu, mais au départ de la capitale du Monténégro, Podgorica, il ne faut prévoir qu'une heure et demie d'autobus pour franchir la distance.

Une fois la haute saison touristique terminée, soit après le 1er octobre, plus personne ne connaît les horaires d'autobus par coeur. Plusieurs liaisons sont modifiées ou simplement abandonnées jusqu'au retour des temps plus achalandés. Quand on demande s'il sera possible de revenir à bon port le soir même, des points d'interrogation lumineux se répandent dans le terminus.

Bah! On trouvera bien.

La forteresse de Rozafa offre un panorama incomparable sur Shkodër, une des plus vieilles villes d'Europe.

À vélo

Déjà, en sortant du bus, on sent Shkodër vibrer. La jeunesse occupe les espaces publics, les gens vivent dehors quand le soleil le permet. Là, les mosquées côtoient les cathédrales. Près des grands hôtels et des rues piétonnières, un monument en l'honneur de Mère Teresa nous rappelle à quel point la religieuse constitue une grande fierté pour toute la nation.Surtout, on peut s'aventurer dans la proche campagne, préférablement à vélo ou en voiture, pour voir le pont de Mes, un pont ottoman de près de 250 ans. On peut aussi grimper jusqu'à la forteresse de Rozafa, qui offre un panorama à 360 degrés sur la région.

J'avais opté pour le vélo pour couvrir ces distances en un temps raisonnable. En rapportant ma monture, on me demande comment je rentrerai au Monténégro.

« Avec le bus de 19 h 30 », que je réponds. C'est internet qui m'avait inspiré cette réponse.

Pas de bus à 19 h 30, rétorque le marchand. Jamais entendu parler. Mais une minifourgonnette part tous les soirs, devant le grand hôtel, à 18 h.

Le pépin, c'est qu'au grand hôtel en question, on ignore tout des habitudes de transport des voyageurs. Jamais entendu parler d'un bus à 19 h 30 là non plus. Gros doute sur l'existence d'un transport à 18 h également.

Droit comme un flamant, j'ai attendu que le ciel devienne rose, que 18 h soit bien loin au cadran de mon téléphone cellulaire, avant de me mettre en mode panique.

Un homme aux aguets, début soixantaine, m'a demandé où j'allais. Pas de bus vers le Monténégro, qu'il m'assure. Mais lui, bien sûr, peut m'y conduire. 

Devant l'absence d'autres options, malgré mon intuition qui me faisait défaut, j'ai consenti à suivre l'inconnu. Paranoïa oblige, je cherchais des signes qu'il était bien un conducteur professionnel : un logo de taxi, un permis dans le pare-brise, quelque chose...

La paranoïa, dis-je, c'est de réaliser qu'on est seul dans la voiture d'un étranger, à la plus grande noirceur, et qu'on s'éloigne tranquillement de la civilisation pour s'enfoncer dans les terres... en Albanie.

« On fera un tout petit arrêt de deux minutes pour prévenir ma conjointe », annonce le conducteur.

Doute! On a presque tous entendu parler de ces histoires de touristes naïfs qui se retrouvent sans passeport, sans le sou, abandonnés sur une route de campagne parce qu'ils ont été trop nigauds et ont suivi le premier venu. Je m'imaginais nigaud.

Quand la voiture s'est rangée dans la cour d'un dépanneur, devant un bolide stationné, portes ouvertes, flanqué de trois gaillards immobiles, j'ai cru que j'avais sauté à pieds joints dans un immense piège à ours.

Mais quand mon chauffeur a envoyé la main à sa conjointe, installée derrière sa caisse enregistreuse, et qu'elle lui apporté une boisson gazeuse en me souriant, j'ai poussé un soupir de soulagement.

Au final, j'ignore encore si le bus est passé à 19 h 30, comme le laissait entendre un site internet à la crédibilité défaillante. Mais le chauffeur privé m'a mené à bon port. Et mon court aperçu du pays méconnu qu'est l'Albanie me dit qu'il faudra bien que j'y retourne pour faire plus ample connaissance avec son peuple chaleureux.

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