Chronique|

Marine Le Pen, un joueur incontournable!

ANALYSE / La bataille pour la présidentielle française 2017 s'enclenche petit à petit. Du côté de la droite, on arrive à grands pas au duel entre l'ancien président Nicolas Sarkozy et l'ancien premier ministre Alain Juppé. Du côté de la gauche, le président sortant, François Hollande, précise clairement ses intentions et se positionne déjà comme l'homme de sa formation politique au prochain scrutin: n'en déplaise aux autres candidats, Emmanuel Macron en premier, ainsi qu'à une grande majorité de Français (80%) qui ne souhaitent pas le voir briguer un autre mandat.


Pendant ce temps-là, Marine Le Pen, en attente de connaître ses adversaires, semble de plus en plus bien installée dans l'opinion publique française. D'ailleurs, selon une enquête réalisée la semaine dernière par TNS Sofres-OnePoint, la candidate du Front national consolide ses appuis auprès de l'électorat français avec des intentions de vote de l'ordre de 27%. Plus encore, celle-ci sortirait gagnante au premier tour, peu importe le candidat qui lui fera face. (...).

Plusieurs éléments convergent pour donner un sens à cette situation, notamment la constance dans les intentions de vote pour le Front national.

Vecteur identitaire

Le premier est sans aucun doute en lien avec la crise des migrants en Europe. Celle-ci a apporté beaucoup d'eau au moulin «identitaire» du Front national qui n'a jamais caché son aversion face aux politiques d'immigration mises en place par les autorités françaises, encore moins face à celles dictées par l'Union européenne (UE). En exploitant habilement les sentiments de peur et d'insécurité, surtout avec les attentats perpétrés en France dans les deux dernières années, Mme Le Pen est consciente qu'elle touche à une corde sensible chez ses compatriotes: le vecteur de l'identité nationale, une valeur refuge de son parti. D'ailleurs, les débats explosifs qui déchirent la France depuis quelque temps, comme celui sur la déchéance nationale ou encore celui sur le port du burkini, sont éloquents à cet égard et ne font que renforcer l'attrait pour son parti.

Déclin économique

Le deuxième élément renvoie au contexte économique morose qui assaille la France depuis plusieurs années déjà. Ainsi, même si son programme économique n'est pas réellement au point, Mme Le Pen n'hésite pas à attaquer tant ceux de la droite que ceux de la gauche, qu'elle juge trop similaires (un coup d'oeil aux programmes des différents candidats à la primaire de la droite est éloquent à cet égard) et peu porteurs de solutions crédibles. Elle profite aussi de cette lassitude, de plus en plus profonde et apparente, notamment chez les classes ouvrières des régions désindustrialisées, pour dénoncer le déclin économique de son pays et ses problèmes récurrents de finances publiques. D'ailleurs, la France ne vient-elle pas d'aligner un 41e déficit budgétaire de suite?

Aliénation de l'UE

Enfin, Marine Le Pen continue de marteler le fait que son pays se trouve aliéné dans l'espace européen, dominé par les structures de l'UE, et elle promet de reconsidérer l'appartenance de la France à cette aventure. Et contrairement à la campagne présidentielle de 2012 où l'on qualifiait ses propositions en cette matière de farfelues, Mme Le Pen peut aujourd'hui parler de cette possibilité sans trop de complexes.

Premièrement, les partis eurosceptiques gagnent du terrain un peu partout en Europe, comme en font foi les percées significatives du parti Alternative For Germany (AFG) lors des régionales allemandes de la semaine dernière. Deuxièmement, surtout, le BREXIT de juin dernier est venu démontrer que ce retour en arrière vis-à-vis l'intégration européenne (une sorte de FREXIT pour la France) est à la fois possible et légitime.

En ce sens, si la tendance se maintient et, à moins d'un renversement extraordinaire de la donne politique en France dans les prochains mois, Mme Le Pen est plus que certaine de franchir le premier tour des présidentielles françaises 2017. Mais, là s'arrêtera fort probablement sa marche, car ses appuis ne sont pas encore suffisants pour lui permettre de croire à des ambitions plus grandes.

N'empêche que sur le plan symbolique, ça sera déjà toute une réalisation. Une assise importante sur laquelle elle pourra construire pour les autres rendez-vous électoraux. Mais surtout, elle pourra, dans le paysage politique français, établir enfin sa formation, le Front national, comme un parti dit « normal » !

Khalid Adnane est économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.