« L'adoption, ça me trottait dans la tête depuis un certain temps, et il y a deux options : à l'étranger ou au Québec. Moi, je me disais : pourquoi j'irais à l'étranger alors qu'il y a des enfants ici qui ont besoin de parents? Il y avait aussi le fait que l'adoption à l'étranger comporte beaucoup de frais », explique la nouvelle maman.
C'est ainsi que la Sherbrookoise a décidé de s'inscrire à l'adoption régulière, qui se fait plutôt rare au Québec, ainsi qu'à la banque mixte. La deuxième option a finalement fonctionné le plus rapidement.
« J'ai été chanceuse : le processus complet, entre le moment où j'ai pris le téléphone et que j'ai appelé au Centre jeunesse de l'Estrie pour dire que j'étais intéressée et le jour où j'ai eu un enfant dans les bras, ç'a pris dix mois », raconte-t-elle.
Bien sûr, Nancy Corriveau était consciente des nombreux risques associés à la banque mixte. Ceux-ci l'ont même refroidie pendant un bon moment.
« Je pensais que la possibilité que l'enfant soit repris par ses parents biologiques était égale à celle qu'il devienne adoptable, mais un moment donné, j'ai appris que ce n'était pas le cas. Il y a quand même plus de chances que l'enfant reste avec sa famille d'accueil que le contraire. Quand j'ai su ça, j'ai décidé d'essayer. »
La jeune femme raconte avoir été bien accompagnée par le Centre jeunesse de l'Estrie tout au long du processus, ce qui l'a aidée à se sentir à l'aise avec sa décision, mais aussi avec l'idée que son enfant pourrait porter en lui des souvenirs plutôt sombres.
« Lors de l'évaluation psychosociale, [les intervenants au Centre jeunesse] nous donnent plein de scénarios, pour voir où sont nos limites, mentionne-t-elle. Par exemple, si quelqu'un dit qu'il ne serait pas à l'aise à accueillir un enfant qui souffre d'un handicap, ils ne vont pas lui en présenter un. Ce n'est pas une histoire d'ancienneté, comme si le prochain sur la liste avait le prochain enfant. »
« Ensuite, quand ils te présentent un enfant, c'est sur papier, pour que tu puisses encore dire non. C'est sûr qu'une fois que l'enfant est devant toi, tu ne peux plus dire non, mais tu n'as pas le goût non plus ! Quand tu as ton petit minou avec toi, tu veux juste enfin la vivre, cette famille-là. »
Gagner la loto
Lorsqu'on lui parle de l'arrivée de son petit, Nancy Corriveau cherche ses mots, envahie par l'émotion.
« Tu ne peux pas vraiment te préparer à ça, parce que c'est tellement beau mais tellement affolant en même temps », lâche-t-elle après quelques secondes.
« La première question que le Centre jeunesse m'avait posée, c'était de décrire l'enfant de mes rêves. Et celui qui est arrivé, c'était exactement celui-là. J'avais l'impression d'avoir gagné la loto. J'ai eu l'enfant de mes rêves. Il n'y a pas de plus grand bonheur : quand tu tiens ton enfant dans tes bras, il pourrait y avoir une bombe nucléaire à côté et tu ne serais même pas au courant. »
Le bambin n'étant âgé que de quelques semaines lorsqu'il lui a été confié, Mme Corriveau se réjouit qu'il n'ait pas eu le temps d'être écorché par la vie, sauf pour l'abandon de sa mère biologique. Toutefois, elle ne cache pas que l'idée que son enfant puisse repartir un jour la fait frémir.
« On a l'impression qu'une fois que l'enfant sera arrivé chez nous, on va gérer ça et que ça va être correct. Mais quand tu l'as dans tes bras, tu ne veux plus qu'il s'en aille ! Donc les premiers jours, les premières semaines, c'est plus angoissant. Tranquillement, on se fait à l'idée, et à un moment donné, on y pense moins. Au lieu d'y penser quatorze fois par jour, on peut y penser une fois par trois jours, c'est pas pire ! », dit-elle en riant.
« Mais pour des parents qui songent à l'adoption, je pense que ça vaut vraiment la peine de prendre le temps de considérer cette avenue-là. »
Familles d'accueil recherchées
Au cours des dernières années, les besoins de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour des familles prêtes à accueillir un enfant de l'Estrie, et éventuellement l'adopter, se font grandissants. Le Service d'adoption organise donc quatre rencontres d'information prochainement, à Sherbrooke et à Granby, comme première étape pour les familles intéressées par cette démarche.
« On souhaite avoir une banque de gens qui ont été évalués par notre équipe, et qui sont prêts à accueillir un enfant, parce qu'il y a plusieurs étapes à franchir avant ça : on ne devient pas famille d'accueil de type banque mixte comme ça du jour au lendemain », explique Lorraine Veilleux, travailleuse sociale au Service d'adoption de la DPJ.
« On a plusieurs types d'enfants, parfois avec des certaines difficultés ou des particularités, alors on veut s'assurer d'avoir déjà des milieux évalués en banque pour pouvoir faire des jumelages appropriés, selon les besoins de l'enfant. »
Si devenir une famille d'accueil de type banque mixte est une option offerte aux personnes seules comme aux couples hétérosexuels ou homosexuels, cette décision comporte certains risques, que les familles doivent être prêtes à affronter.
Car lorsqu'une famille d'accueil régulière se voit confier un enfant, elle lui vient temporairement en aide pendant quelques jours, mois ou années, parce que ses parents biologiques ne sont pas en mesure de le faire. Les parents d'accueil s'attendent donc à voir partir cet enfant un jour ou l'autre. Mais pour les familles de banque mixte, la réalité est tout autre.
« Une famille d'accueil de type banque mixte reçoit un enfant avec une intention, un désir d'adopter, indique Mme Veilleux. Ce sont généralement des enfants dont le portrait est vraiment très sombre, et la possibilité de retour dans le milieu familial est mince. Mais il y a quand même toujours un risque que l'enfant reparte avec ses parents biologiques, après un an ou deux, dépendamment de son âge. Même après cette période, le juge peut décider que l'enfant n'est pas adoptable, pour toutes sortes de raison. »
« L'autre risque, c'est que l'enfant possède un vécu souvent difficile, même s'il n'est âgé que de 0 à 3 ans. Les enfants confiés à la DPJ, particulièrement ceux qui sont destinés à des familles banque mixte, ont vécu une rupture avec leur mère, et ont aussi souvent vécu soit de la négligence grave, de l'abus physique ou sexuel, de l'abandon, etc. On voit des problèmes de santé mentale, de la déficience intellectuelle... Toutes ces caractéristiques-là font que l'enfant vient avec un certain bagage, duquel il faut tenir compte. »
Devenir une famille d'accueil de type banque mixte exige aussi de franchir une kyrielle d'étapes de réflexion, de sensibilisation et d'évaluation. Même si les besoins de la DPJ sont actuellement urgents, ses critères d'accréditation n'en sont pas moins rigoureux, soutient Mme Veilleux.
Les séances d'information organisées par le Service d'adoption de la DPJ, qui se tiendront les 27 et 28 septembre à Sherbrooke et les 4 et 12 octobre à Granby, servent justement à expliquer ces risques et ces étapes inhérents au choix de devenir famille d'accueil de type banque mixte, « pour que les gens intéressés puissent évaluer s'ils se sentent aptes à composer avec ce que ça exige », dit la travailleuse sociale.
Pour participer, les familles doivent s'inscrire en joignant Annie-Claude Ruel au 819 822-2728 ou au 1 800 463-5769, poste 52354. Pour plus d'information sur le rôle de famille d'accueil et les étapes à franchir pour en devenir une, consultez la section Devenir une famille d'accueil au www.cjestrie.ca.