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Chaque fois qu'on part pour l'étranger, l'excitation se pointe toujours avec un brin d'incertitude, une légère appréhension devant l'inconnu dans lequel nous plongeons. Souvent, le vertige ne dure que quelques minutes et s'estompe avant même que nous prenions place dans l'avion.
Mais quand on part pour longtemps, quand la date du retour est tellement loin qu'on ne sait même pas qui on sera au moment du retour, le vide qui nous attire vers lui paraît beaucoup plus profond. L'angoisse aussi.
Quand j'ai pris la décision de toucher quatre continents au cours d'un même voyage, quand j'ai cru qu'il serait plus logique de suivre une même direction pendant six mois au lieu de multiplier les allers-retours, j'ignorais dans quel état je partirais. On ne dit pas au revoir comme si on revenait manger à la maison dans deux semaines. On ne verrouille pas la porte de l'appartement en laissant en suspens les occupations quotidiennes, comme s'il suffisait de reprendre là où on les avait laissées au départ.
Sauf erreur, pour s'absenter longtemps, on met des semaines, voire des mois de préparation. Il faut penser à tout : le courrier, l'électricité, les assurances, la voiture, etc. Les préparatifs pèsent lourd. Le sac à dos, seule et unique maison pour les mois qui suivront, paraît bien petit.
Je suis parti de Burlington dans un tout petit avion qui s'arrêterait à Newark avant de me laisser filer vers San Diego. Les bagages disparaissent sur le convoyeur et après les adieux d'usage, il faut regarder en avant, se retourner le moins possible et prendre la mesure de la montagne qu'on s'apprête à gravir. Il faut regarder en avant, vers demain, et embrasser le premier jour du reste de notre vie.
Parce que c'est bien ça qui se produit. C'est le mode de vie, la façon de penser, la réalité du quotidien qui changent d'un coup. Le reste de notre vie sera sans doute bien différent. Il y aura un avant et un après. Et le pendant sera comme une montagne russe.
Le premier jour du reste de ma vie a commencé par l'avion qui ballottait entre les gratte-ciel de San Diego, là où l'aéroport est situé en pleine ville. Une navette m'a conduit jusqu'à l'auberge de jeunesse où je passerais les trois nuits suivantes.
C'est fou comme il faut toujours un temps d'adaptation pour comprendre que le boulot ne nous attend pas demain, qu'on peut se la couler douce et qu'on peut se lever ou se coucher quand bon nous semble sans nous sentir coupable.
J'ai débouché dans mon dortoir où deux amis français s'étaient déjà bien adaptés au rythme de farniente. Les genoux m'ont ramolli comme si je n'avais jamais voyagé avant. J'avais besoin de ma bulle, de couper avec le dernier jour de ma vie d'avant, alors que ces deux là, ils avaient déjà fait le pont. C'était comme attendre dans la salle du dentiste et envier ceux qui sortent la salle d'examen. On voudrait prendre leur place et faire un saut en avant.
Il y avait les questions habituelles. D'où viens-tu? Quel âge as-tu? Combien de temps passeras-tu à San Diego? Combien de temps durent les vacances?
Et voilà! Boom! Le coeur qui ballotte comme l'avion dans le ciel de San Diego. Cette gêne de dévoiler un projet que je n'assumais pas encore complètement. La bouchée paraissait trop grande pour ce que je pouvais supporter. On a l'air de quoi quand on dit : « Je suis parti pour six mois... depuis aujourd'hui »?
Ce que l'autre en pense, son regard, son jugement, je n'en aurais rien à foutre au bout de quelques jours. Mais aux premières heures du reste de notre vie, nous avons surtout besoin d'une petite tape dans le dos pour nous aider à répartir l'adrénaline qui nous paralyse.
Dans les premières 24 heures, j'ai erré. C'était février. J'ai marché tout Pacific Beach, où je me suis posé et où j'ai verrouillé mes yeux sur l'horizon de l'océan du même nom. C'est fort le Pacifique. Ça nous réconforte autant que ça nous montre que nous n'aurons jamais pleinement le contrôle.
La bulle pour décrocher, c'est là que je l'ai trouvée. Je me suis laissé m'enfoncer dans le sable et j'ai commencé à faire le vide, comme pour faire de l'espace pour les souvenirs qui me tomberaient dessus dans les mois qui suivraient.
Et j'ai pris l'autobus vers Ocean Beach, same, same, but different, pour voir le coucher de soleil. La chauffeuse racontait des blagues aux passagers. Un autre jour au boulot qui la faisait sourire. Et qui m'a fait sourire.
Le premier jour du reste de ma vie, je l'ai passé sur les plages de février, seul, à décanter. Je suis rentré à ma chambre, retourné à mes amis français comme si je les connaissais depuis toujours, avec l'impression que le temps s'était suspendu.
Jour 1 de 183. Vertige! La vague impression que je n'y arriverais pas. Que je retournerais à la maison à mi-chemin.
Après les jours 2 et 3, après le fameux zoo de San Diego, la marina, et l'île de Coronado, j'ai compris que 183 jours, ça ne suffirait pas.
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