Quand les bagages s'égarent

Il m'a fallu un peu de temps pour tomber amoureux de San Francisco, trop occupé que j'étais à attendre mes bagages égarés.

C'est arrivé une fois où j'aurais dû me taire. En fait, je me suis tu, mais j'ai pensé fort. On aurait dit que j'avais provoqué les choses. Non content d'avoir provoqué le destin avec mes pensées négatives, j'ai vécu le même épisode, pareil, pareil, deux ans plus tard. Faut savoir se taire, même dans sa tête.


Premier incident. J'avais réservé mon billet pour San Francisco à la dernière minute. Une envie soudaine de prendre la poudre d'escampette, de briser le gris de novembre. C'était le genre de voyage où on pousse un soupir de soulagement en montant dans l'avion et où on sent la broue qu'on a dans le toupet s'estomper seulement à l'atterrissage.

Il était 20 h, heure locale. J'étais affamé. C'est là que j'ai dit (et que je n'aurais pas dû dire) : ce serait vraiment un très mauvais moment pour perdre mes bagages.

J'avais un peu couru après. En faisant des recherches, avant le départ, j'avais constaté que ma compagnie aérienne était la plus réputée, aux États-Unis, pour égarer les valises.

Toujours est-il que la seule vraie façon d'être certain que nos possessions n'ont pas suivi la même route que nous, c'est d'attendre en tapant du pied, en essayant de nous convaincre que nous avons simplement été inattentifs. Pendant qu'on patiente, concentrés sur le gargouillis de notre ventre, on se demande s'il y a une façon stratégique d'enregistrer nos bagages pour qu'ils soient les premiers à se pointer.

On voit les passagers qui partageaient notre vol s'exclamer en voyant apparaître leurs paquets. Ils virent les talons, et la foule devient plus clairsemée. Le vrai de vrai signal, c'est quand le convoyeur s'arrête. Pouf! Plus rien. Il y a pourtant quatre ou cinq sacs non réclamés qui gisent inanimés. Mais pas le nôtre. Pas de danger!

On fait le tour du carrousel une fois, deux fois, au cas... Toujours rien.

Perdre ses bagages, c'est un peu comme faire une crevaison. En théorie, on sait quoi faire pour s'en sortir. En réalité, on cherche un peu pour savoir à qui s'adresser. Cette fois-là, on a rapidement compris que mon sac à dos s'était plutôt envolé pour New York. J'étais arrivé tôt à l'aéroport. Trois heures avant le départ. On enregistrait encore les passagers pour JFK. C'était suffisant pour créer la confusion.

Cette fois-là, je n'avais pas encore eu le temps de tomber complètement amoureux de San Francisco quand on m'a livré mes bagages, vers les 3 heures du matin. Le service avait été rapide; le stress, de courte durée. Plus de peur que de mal.

L'épisode suivant était moins joyeux, quand j'ai franchi la distance entre Helsinki, en Finlande, et Lisbonne au Portugal. Entre les deux, une petite escale à Prague.

Je m'étais posé à minuit. La même pensée. « Ce serait vraiment le pire moment pour perdre mes bagages. »

Voyez la leçon? Silence aux pensées négatives.

Toujours rien sur le convoyeur. Petit regret, aussi, de ne pas voyager avec un téléphone cellulaire. Quand on m'a demandé de décrire mon sac, il aurait été plus facile de leur montrer une photo. On ne m'y reprendra plus.

On s'est assuré que j'avais bien regardé tous les bagages. Que je m'étais présenté d'abord au comptoir des objets non réclamés. Puis, on m'a remis une trousse de survie : t-shirt x-large, dentifrice, brosse à dents, désodorisant féminin, crème pour la peau, cotons démaquillants... et lime à ongles. Pas de savon, mais on n'avait pas omis le savon à linge. Le hic, c'est qu'il ne me restait que les vêtements que j'avais sur le dos. On repassera pour le concept de « survie ».

« Peut-être mes bagages sont-ils demeurés à Prague? », que je lance, comme ça, naïvement. Aucune idée, qu'on me répond. L'ordinateur ne le sait pas. Personne, à Prague, n'a signalé de sac noir et bleu. Faudrait attendre qu'il réapparaisse.

Je suis parti vers mon auberge, les mains vides, dans la chaleur de l'été portugais, avec un seul accoutrement qui, lui, était plutôt adapté à la fraîcheur finlandaise. À mon lieu d'hébergement, j'ai prévenu qu'un sac à dos égaré pouvait être livré n'importe quand. La réceptionniste m'a interrogé sur la compagnie d'aviation en cause.

« Ah! Ça arrive tout le temps avec eux! » Voilà qui est rassurant.

24 heures plus tard, on téléphonait pour prévenir qu'on avait retrouvé le précieux paquet. Comme quoi Prague-Lisbonne, c'est plus long à franchir que New York-San Francisco.

Somme toute, j'ai été beaucoup plus chanceux que ceux qui ne retrouvent jamais leur valise. Ces expériences m'ont toutefois démontré que même sans être matérialiste, on peut trouver notre confort dans quelques objets de base. Désormais, je n'ose même plus effleurer l'idée que mes bagages soient perdus. Faut pas tenter le mauvais sort.

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