Gestion de risque et paranoïa

Avant de visiter la Birmanie, et son impressionnante Shwedagon Paya, à Yangon, j'avais bien compris qu'il était préférable de ne pas mentionner que je suis journaliste.

La paranoïa, je connais bien. Hypocondriaque à mes heures, je suis aussi excellent pour imaginer des scénarios catastrophes. Je serai pourtant le premier à chercher à vous rassurer, quand vous vous raconterez les sottises que j'aurais pu moi-même monter en épingle dans mon cabochon, en martelant que le pire ne se produit jamais.


Le monde est fou. Point. Ce qui ne m'empêchera jamais de voyager. Mais les catastrophes, les gestes violents, ils nous restent en mémoire et nous poussent à prendre des risques calculés, à accepter qu'on puisse se placer en situation de danger.

La tuerie dans un bar gai d'Orlando, la semaine dernière, m'a rappelé une soirée dans une boîte de nuit de Sao Paulo. Là-bas, pas de tireur fou. Pas de catastrophe non plus. Mais le risque que je courais m'avait traversé l'esprit.

Je logeais dans une auberge de jeunesse vieille d'à peine une semaine. Son propriétaire, un nomade incorruptible, s'était attaché à sa ville natale en se promettant de voyager par procuration. La vie de jeune aventurier, il la vivait tous les soirs en entraînant ses visiteurs dans les pubs, les boîtes à chansons ou les bouis-bouis qu'il affectionnait.

Ce soir-là, il avait convaincu tout le monde d'assister à la soirée latine dans LE bar le plus populaire du quartier. À force de petites tapes dans le dos, j'ai suivi.

Le petit débit de boisson, assurément pas plus grand que mon appartement de quatre pièces et demi, laissait s'entasser quelques centaines de personnes dans un espace exigu. Un groupe de musique, confiné dans l'angle droit formé par la pièce en L, entravait partiellement la circulation.

Notre clan avait choisi de se rassembler tout au fond, passé l'angle droit, loin de la porte d'entrée. Derrière nous, il n'y avait qu'un mur. Surtout, pas de deuxième issue, pas de sortie de secours.

J'ai aussitôt eu en mémoire un incendie survenu dans un club semblable, quelque part en Amérique du Sud. Le feu avait été allumé par une pièce pyrotechnique. La foule avait pris d'assaut la seule porte de sortie et plusieurs victimes étaient restées coincées à quelques mètres de l'extérieur.

Ce soir-là, j'ai réalisé ce qui a bien pu se produire le jour des événements tragiques. Je comprenais que si la fumée envahissait le bar où nous nous trouvions, nous n'aurions probablement pas de chance non plus. J'ai été soulagé quand le groupe a choisi de rentrer.

Le risque et les scénarios catastrophes, en voyage, ils sont là pour la communauté LGBT, visiblement la cible de l'attentat à Orlando. Ils sont là pour les femmes qui refusent de se plier à certaines traditions, parfois, et pour ceux qui pourraient donner l'illusion qu'ils contestent le pouvoir.

Avant d'aller en Birmanie, j'avais lu des mises en garde. Si vous êtes journaliste, écrivain, photographe, scénariste, artiste, songez à « changer » de profession le temps du voyage, pouvait-on lire. L'homosexualité y est tabou.

La gestion du risque appartient à chacun, comme le comportement à adopter en terre étrangère. J'ai des amis qui refuseront tout voyage là où ils ne pourront pas s'aimer au grand jour. D'autres qui accepteront de se montrer discrets. Mais mine de rien, les étrangers, quand ils vous croisent, ont tendance à vous demander ce que vous faites dans la vie. Il arrive qu'ils vous demandent aussi si vous êtes marié...

Ma gestion du risque à moi, c'est de laisser mon titre de journaliste dans ma voiture, à l'aéroport. Je me suis quand même envolé pour des contrées comptant une quantité innombrable de journalistes derrière les barreaux. En Turquie, pendant la crise de la place Taksim, je sentais la nervosité des autorités quand nous posions trop de questions. En Chine, la présence des autorités sur la place Tian Anmen suffisait à me dissuader de parler de ma profession.

Au Maroc, j'ai croisé un autre journaliste. « Quand on me demande mon métier, je dis toujours que je plante des carottes. C'est inoffensif, des carottes », avait-il lancé. Pas bête du tout.

En Birmanie, on laisse entendre que les douaniers traqueront les menteurs puisqu'une simple recherche sur Google les trahira. Voilà qui en forcerait certains à de belles séances de patinage de fantaisie... Parce qu'il est effectivement difficile de se cacher sur internet. Mais bien sûr, les autorités ont bien mieux à faire que de googler votre nom à votre descente de l'avion.

Il reste que pour moi, quand on connaît le risque, on peut adapter son comportement, se montrer prudent et choisir de jouer les probabilités... ou pas.

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