L'Amazonie, là où s'arrêtent le bruit et le béton

Ces singes, parmi les plus petits de l'Amazonie, sont souvent bien cachés dans un tronc d'arbre.

Comme touriste, on cherche des expériences uniques, différentes, et souvent loin des autres voyageurs. Quand on me demande si j'ai aimé un endroit, j'ai tendance à répondre: «Ce serait mieux sans tous les touristes.» Bien évidemment, j'embrasse toute l'ironie d'une telle déclaration.


À mon retour de Prague, en République tchèque, j'avais servi cette exacte réplique à tous ceux qui m'interrogeaient. Vrai qu'elle peut être la plus belle ville au monde. Mais diable qu'à être entouré des gens qui ne parlent que ma langue, je n'ai pas l'impression de goûter réellement la culture que j'étais allé découvrir.

Il y a donc quelque chose de doux-amer dans le choix d'une excursion en Amazonie, en Équateur, où on s'exilera à deux heures de bateau de l'agglomération la plus proche. On se retrouvera au milieu de nulle part... avec quelques dizaines d'autres étrangers.

J'ai pris mon billet pour la réserve de Cuyabeno, qui n'a pas échappé à l'exploration pétrolière et qui, bien que protégée, ne demeure pas à l'abri des différentes formes d'exploitation. Il s'agit d'une parcelle de paradis... mais pour combien de temps encore?

Les autobus organisés iront jusqu'à la ville ouvrière de Lago Agrio, d'où il faudra rouler pendant encore deux heures avant de prendre place dans une embarcation qui descendra doucement la rivière.

Au coeur de l'Amazonie, où les routes sont inexistantes et que les voies navigables sont nos seuls chemins, on accepte lentement que la nature est plus forte. On réalise qu'elle était là avant nous et que nous vivons bien malgré elle.

Au refuge écologique où nous nous trouvions, il était fort probable que nous apercevions des tarentules, planquées quelque part au plafond. C'est nous qui étions les intrus... Des touristes ayant laissé leurs collations sans surveillance ont reçu la visite d'un opossum pendant la nuit...

Dans notre grand canot, nous avons remonté la rivière qui serpente la forêt tropicale jusqu'à trouver un point où il nous était possible de descendre avec nos bottes de caoutchouc. Pendant trois heures, nous avons marché là où la civilisation n'a pas encore entrepris de tout casser.

Des fourmis énormes, et très dangereuses, besognaient sans relâche partout autour d'un arbre énorme. Elles étaient des milliers, organisées, à circuler sans être inquiétées. Et nous étions là, autour, à essayer de ne pas trop nous en approcher.

<p>Quand on prête l'oreille, c'est fou tout ce qu'on peut entendre en Amazonie. Et quand on ouvre les yeux, on peut notamment voir des toucans. </p>

Quand on prête l'oreille, c'est fou tout ce qu'on peut entendre en Amazonie. Et quand on ouvre les yeux, on peut notamment voir des toucans.

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

Passer presque inaperçu

Les yeux les moins vifs n'auraient jamais soupçonné la présence de toutes petites grenouilles, venimeuses, que les Incas plaçaient au bout de leurs flèches avant d'attaquer un adversaire. Dans les feuillages au sol, sur les rochers couverts de mousse, ces minuscules bêtes passent presque inaperçues.

Et cet arbre, tout rachitique qu'il était, qu'on aurait fait fléchir en un coup de machette, il était un fier descendant de l'ère préglaciation. Les glaces n'ayant pas recouvert cette partie du globe, certains végétaux ont pu traverser le temps. Sans un guide expérimenté, je n'y aurais vu qu'un tronc faiblard surmonté d'une couronne de feuilles.

Nous nous sommes repointés au même endroit en soirée, après avoir observé le soleil se coucher dans le silence le plus complet sur un lac infesté de piranhas. Sans les réverbères des villes pour nous éclairer, nous transportions de toutes petites lampes de poche. Le lune refusait également de nous plonger dans la noirceur la plus complète.

Il reste qu'une fois la nuit tombée, les bestioles les plus étranges font acte de présence. Une énorme araignée aux allures d'un crabe en a fait grimacer plus d'un. Le plus marquant aura néanmoins été ce moment où toutes les torches se sont éteintes.

Nous avons écouté la nuit. La vraie. Celle qui n'est faite ni de béton, ni de klaxons, ni de feux de circulation. Le piaillement des oiseaux, partout autour, le craquement des branches de la forêt qui ne cesse jamais de respirer, le silence qu'on n'entend pas, mais qui est bien là, ils nous font sentir bien petits. Ils nous font sentir la vie qui n'arrête pas. Cette vie si diversifiée, sous la forme de centaines d'espèces d'oiseaux, de centaines d'espèces d'insectes, nous frappe en plein front. La fragilité d'une beauté que l'homme ne saurait reproduire nous bouleverse.

Quand la nature, dans sa forme la plus simple, nous arrache presque une larme, c'est qu'on avait arrêté de la voir depuis trop longtemps.

Encore me fallait-il passer deux autres jours au coeur de l'Amazonie. Deux jours à arpenter les cours d'eau, à apercevoir les boas et les anacondas qui se prélassent au soleil sans être inquiétés, à observer les plus petits singes de la forêt, avec leurs gros yeux globuleux, tapis dans l'anfractuosité d'un arbre, à découvrir de gros primates au pelage ouaté dont j'ignorais même l'existence.

Les toucans, les papillons bleus, les crocodiles... J'ai oublié les autres touristes. J'ai souri de l'absence du béton.

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