J'entendais presque encore les moteurs de l'avion qui venait de se poser à Yangon, ancienne capitale de la Birmanie (ou Myanmar), quand Kotoo m'a approché avec cette question au coin d'une rue. Ayant déjà repoussé le même genre d'intervention en Chine, au Vietnam et en Inde, je n'avais pas l'intention de m'attarder. Mais en Birmanie, où le tourisme reprend depuis quelques années seulement, les arnaques sont peu nombreuses. La sincérité y occupe encore une grande place.
Kotoo a offert de payer le thé dans un restaurant achalandé près de l'hôtel de ville. C'est une tradition birmane: quand la visite débarque, on paye pour l'accueillir, même si les salaires ne sont pas très élevés.
Kotoo a alors suggéré de passer la journée du lendemain avec lui, dans les environs de son village, Dala, de l'autre côté de la rivière Yangon. Il suffirait de payer pour le traversier et la motocyclette que nous louerions. Pour le reste, pas besoin de plonger dans mes poches.
Bien sûr que la lumière du danger s'est mise à scintiller, même si du haut de ses 24 ans, le jeune homme efflanqué ne présentait aucune menace physique. Le dilemme balance entre la méfiance et la possibilité de vivre une expérience «authentique». Combien de touristes Kotoo entraîne-t-il à sa suite, jusque dans sa maison, pour leur montrer son coin de pays? À trop de scepticisme, à trop interroger, on risque de commettre un impair culturel. À manquer de vigilance, on se met littéralement en danger.
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Rendez-vous au parc
Le lendemain, j'ai rejoint Kotoo au parc avant de prendre le traversier vers Dala. Le prix de la motocyclette m'a semblé exubérant, surtout que c'est le père de Kotoo qui réclamait la contribution, mais j'ai cru que dans le pire des cas, cet argent servirait à payer pour la nourriture qu'on m'offrirait plus tard.
Nous nous sommes d'abord arrêtés au marché, où les femmes, un marmot accroché à leur sein, écaillent les poissons, tranchent les melons d'eau ou négocient le prix d'une poignée de bananes. La plupart sont assises directement sur les étals, certaines y dormant littéralement.
Non loin de là, nous avons pris la pause déjeuner, au milieu d'un chemin terreux bordé de temples et de fanions en l'honneur de Bouddha. Les kiosques rudimentaires en bordure de route se ressemblent tous. Devant, des plats remplis des ingrédients pour préparer un plat de vermicelles ou une soupe. Derrière, une casserole qui amène l'eau à ébullition. On commande et la dame lance un peu de tout dans un même contenant, ajoute du bouillon, et voilà... Une soupe shan pour lancer la journée.
Nous avons arpenté la campagne sur notre monture à la puissance d'abeille, passant un mini-dépotoir à ciel ouvert, des écoles où bourdonnaient des centaines d'enfants, et des champs où bêchaient des paysans.
Kotoo s'est entre autres arrêté dans le temple de Mwe Paya, où sont gardés des pythons en liberté. Les serpents ne seraient semble-t-il nourris qu'avec du lait. Quand on ignore la présence des bêtes, on ne voit rien de particulier en entrant dans le temple, situé au milieu d'un lac. Puis, les reptiles confortablement enroulés autour d'un arbre artificiel apparaissent doucement. Les plus courageux prendront même le temps de les toucher.
Enfin, nous avons louvoyé dans les rues étroites de Dala, un labyrinthe où je ne saurais jamais me retrouver, pour aboutir à la maison de Kotoo, un amoncellement de briques comportant des volets de bois au rez-de-chaussée et des bâches de plastique à titre de fenêtres à l'étage.
Au milieu de l'unique pièce du rez-de-chaussée, une table a été dressée pour le dîner. La télévision a été ouverte à la seule chaîne anglophone captée à Yangon. Le ventilateur a été habilement orienté vers nous. Assis au sol, nous attendons que le paternel nous serve pendant que les deux frères de Kotoo nous font du vent avec des éventails.
Après le repas copieux, on nous enseigne à préparer une espèce de masque d'argile, cette substance dont la communauté locale s'enduit parfois le visage pour se protéger du soleil.
Enfin, Kotoo nous raconte comment sa maison a été détruite par un arbre lors du passage du cyclone Nargis, en 2008. Il mentionne l'aide de la communauté pour commencer à rebâtir la demeure, encore incomplète, et l'accident cardio-vasculaire de son père, qui a forcé les enfants à travailler pour subvenir aux besoins de la famille.
Bien sûr que cette histoire s'est accompagnée d'une demande de contribution. Pour ajouter des fenêtres à l'étage, pour empêcher la pluie et les chats errants d'entrer, qu'il disait.
Je n'étais probablement pas le premier à être invité dans la famille de Kotoo. Ma visite visait probablement plus qu'à pratiquer un anglais que le jeune homme maîtrisait déjà assez bien. Mais en considérant la journée qui m'avait été consacrée, en tenant compte du temps accordé, j'ai accepté de verser une petite contribution pour une famille qui s'est quand même donné beaucoup de mal pour m'accueillir.
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