Les commerçants de Lac-Mégantic attendent des jours meilleurs

Le restaurateur Dragan Popara met beaucoup d'énergie pour remonter Le Citron vert, délogé des berges du lac Mégantic par la tragédie de 2013 et relocalisé dans le nouveau secteur commercial de la ville depuis un peu plus d'un an. Il est fier de pouvoir compter sur de fidèles employées qui travaillent depuis 20 ans à l'enseigne du restaurant mexicain, Catherine Patry, Lucille Patry et Lina Bolduc.

Dragan Popara est un battant. Il faut l'être pour quitter un pays en guerre avec femme et enfant et se reconstruire une vie à Lac-Mégantic.


Il faut l'être un peu plus que la moyenne des gens pour persévérer quand un train fou vient détruire

le restaurant dont on rêvait depuis 15 ans et qu'on venait juste d'acquérir.

« Quand j'ai émigré au Canada en 1998, j'ai choisi Lac-Mégantic, et je ne veux pas changer de ville », lance avec certitude le Bosniaque d'origine. « Je suis content d'avoir mon restaurant et je mets tous les efforts nécessaires pour que ça marche », ajoute-t-il, dans son français coloré.

Mais il y a des jours où la ténacité ne suffit plus.

Des hivers où on se demande si le soleil va briller de nouveau sur la ville et ramener de l'achalandage dans les rues.

Des moments où on a bien besoin d'une tape sur l'épaule et de serrer les coudes avec ses voisins.

« Vous devriez écrire sur Lac-Mégantic, avait invité M. Popara. Vous devriez dire aux gens qu'il y a là des personnes qui sont capables de vivre dans une petite ville, qui travaillent fort pour faire marcher leur commerce et à qui il reste de l'énergie pour espérer. »

Car depuis qu'il a relocalisé son restaurant Le Citron vert à la Promenade Papineau en novembre 2014, dans les condos construits par le gouvernement et gérés par la Ville pour redonner rapidement un centre-ville à la population après la tragédie de juillet 2013, Dragan Popara se bat à chaque instant pour assurer la viabilité de son commerce.

Il estime que le loyer, le chauffage, les taxes, la hausse du prix des aliments aussi lui coûtent quelque 20 000 $ de plus par année, « minimum ». Une fortune en restauration.

« Tout est plus cher, ici, mais c'est notre réalité maintenant », constate-t-il, attablé dans sa salle à manger invitante où une quinzaine de personnes prendront le lunch ce jeudi midi.

« Dans le fond, je fais ce que je veux, je suis le patron. Je suis content pareil parce que quand je suis arrivé à Lac-Mégantic, je n'avais rien du tout. Là, j'ai un resto», se raisonne-t-il, en rappelant que pendant de nombreuses années, il a cumulé deux emplois dont un travail de nuit en usine pour nourrir sa famille.

Pour joindre les deux bouts aujourd'hui, le patron du Citron vert ne compte pas ses heures et coupe dans son propre salaire. Il magasine et négocie tous ses achats. Il réduit sa main-d'oeuvre au strict minimum et n'hésite pas à mettre la main aux chaudrons. Et malgré tout, il arrive tout juste.

« Ce n'est pas seulement moi, c'est difficile pour tous les entrepreneurs, croit-il, en refusant de s'apitoyer sur son sort. La restauration n'est plus comme avant. Mais quand j'entre ici, quand je sens les bonnes odeurs de la cuisine, je suis bien. »

Dans le même bain

Le propriétaire du Musi-Café, à quelques portes de là, vit pareille conjoncture. Les touristes d'été partis, les touristes d'hiver plus rares que jamais cette année, Yannick Gagné tente de garder le moral.

Rouvert en décembre 2014, son nouveau café-bar n'a pas encore retrouvé son rythme d'avant et il coûte plus cher à exploiter, dit-il. Les enjeux sont grands.

« Je survis grâce aux touristes mais en hiver, c'est encore difficile, convient l'homme d'affaires. Dans deux ou trois ans on devrait être revenu à ce qu'on était avant. On va y arriver. »

Pascal Hallé y croit aussi, lui qui exploite le Salon de billard et golf-in, également sur la Promenade Papineau.

Ancien président de la Chambre de commerce région de Mégantic, M. Hallé siège d'ailleurs à un comité consultatif de la Ville pour s'assurer que les décisions qui seront prises dans l'avenir ne viendront pas mettre en péril ce que tous les petits commerçants sont à rebâtir, tant à la Promenade Papineau que dans l'autre pôle commercial de la rue Salaberry.

Avec ses homologues, ils surveillent ce qu'il adviendra de la rue Frontenac qui sera reconstruite cet été et où les promoteurs sont invités à bâtir, tant du commercial que du résidentiel et de l'institutionnel.

« Il y a de la place pour les trois pôles commerciaux (Papineau, Salaberry et Frontenac) selon ce qu'on va en faire, met en garde M. Hallé. L'enjeu c'est la connexion de tout ça. Il faut que la rue Papineau reste une artère importante et pour ça il faut travailler en synergie et créer une unité dans la ville. Mais le conseil municipal en est conscient. »

Sur la Promenade Papineau, où on trouve encore trois ou quatre locaux vides, la quinzaine de commerçants doivent de plus ces semaines-ci étudier la possibilité d'acheter leur condo puisque le gouvernement veut s'en départir.

Pascal Hallé admet que la décision n'est pas facile à prendre, ne sachant pas si l'avenir permettra d'assurer la pérennité de tous ces commerces, mais il reste positif. « C'est très acceptable ce qui a été fait ici. Il y a moyen d'en faire quelque chose de très bien. Je veux devenir propriétaire et je partirai le bal s'il le faut. Il faut avoir confiance. »