Chronique|

Voyager avant Facebook

Mes clichés de la Piazza Navona ne sont pas nombreuses. Si j'ai un souvenir de cette fontaine, je n'ai pas de traces d'une photo que je souhaitais prendre avec un nouvel ami.

La technologie change assurément les façons de voyager. Il n'y a qu'à penser au GPS, qui nous sort du pétrin sans que nous ayons plus besoin de demander notre route en faisant des grands gestes ou en essayant de baragouiner une langue dans laquelle nous aurions dû apprendre plus que les usuels « oui », « non » et « merci ».


J'ai pris le large pour la première fois il y a dix ans. C'était bien après l'époque où tout était en noir et blanc, où on craignait que les avions soient construits de boîtes de carton et où il fallait présenter son passeport à chacune des frontières européennes. C'était il y a une décennie, alors que l'espace Schengen avait été mis en place depuis longtemps. L'internet avait envahi une bonne partie du globe. On pouvait même acheter son billet d'avion en trois clics de souris.

Ceci n'est donc pas une crise de nostalgie ni une façon de rappeler à quel point c'était « dont ben meilleur » dans mon temps. Dix ans, c'est court, mais c'est long par petits bouts. Ça donne surtout le temps de changer beaucoup, beaucoup d'habitudes.

En janvier 2006, je suis arrivé à Paris sans ordinateur portable, sans téléphone cellulaire et sans appareil photo numérique. Eh oui, il y avait encore quelques retardataires qui trimballaient une dizaine de rouleaux de pellicule photo à utiliser avec parcimonie.

On peut rire, parce que c'est drôle, mais c'était un temps où ne prenait pas d'égoportraits par peur de gaspiller une précieuse photo. Quand on rencontrait des gens intéressants et qu'on souhaitait conserver un souvenir, on reluquait les passants, en identifiait un qui nous inspirait confiance et on lui confiait l'appareil photo en espérant qu'il sache cadrer un tantinet.

Et après, on attendait d'avoir développé les photos pour voir si le souvenir valait l'attente. Sinon, on n'avait pas nécessairement la force, après tout ce temps, d'en vouloir à cet étranger qui ne savait pas photographier. Souvent, nous nous retrouvions avec des portraits où nous étions tellement loin, tellement petits sur la photo, que nous n'arrivions pas à dire si nous souriions ou pas.

Ça m'est arrivé en Italie, au cours du même voyage. À Venise, un Américain qui m'avait entendu dire que je partirais pour Rome le lendemain s'est intégré à ma conversion. Il suivrait la même route. Il aurait été un peu difficile de garder contact sans téléphone cellulaire, sans What's App, sans Facebook, sans textos. Les auberges de jeunesse n'étaient même pas munies d'internet sans fil. On payait pour 30 minutes en ligne, sur un ordinateur dans le portique, et, fini par fini, l'ordinateur se débranchait au bout du décompte. Même la gestion des courriels pouvait y être laborieuse.

<p>Sans la technologie d'aujourd'hui, les chances de retrouver dans une autre ville mon ami rencontré à Venise étaient minces.</p>

Sans la technologie d'aujourd'hui, les chances de retrouver dans une autre ville mon ami rencontré à Venise étaient minces.

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

Au hasard

Nous avions donc remis dans les mains du destin toutes les chances de nous revoir à Rome. Bonne vie, M. l'Américain!

Le hasard, il est plus fort sans la technologie. À la place Saint-Pierre, prise d'assaut par des milliers de touristes chaque jour, je suis retombé face à face avec cet Américain. Célébrant la coïncidence, nous avons décidé de partager un bout de route.

C'est sur la Piazza Navona que nous avons décidé d'immortaliser notre rencontre. J'ai tendu l'appareil à un passant et nous nous sommes installés devant une fontaine. Trois, deux, un... cheese! C'était somme toute un souvenir précieux. Premier voyage à l'étranger, première amitié spontanée.

À défaut d'avoir Facebook, nous avons échangé nos courriels. Si je passais par Washington D.C., il me ferait visiter. S'il passait par Sherbrooke... Il n'avait pas l'intention de passer par Sherbrooke...

Il faut un effort considérable pour garder le contact par courriel avec quelqu'un qu'on connaît à peine. On échange deux, trois formalités et après, on ne sait plus quoi dire. Aujourd'hui, on discute entre deux bouchées de banane au petit-déjeuner, on sort le téléphone portable et on s'ajoute immédiatement sur Facebook. On suit les péripéties de nos nouveaux amis sans vraiment avoir à leur reparler. On a quand même l'impression d'être restés en contact.

Si l'ajout sur Facebook n'est pas instantané, les chances de nous revoir sont pratiquement nulles. C'est comme ça que ça marche dans le monde moderne. Et dans les auberges de jeunesse, où l'internet sans fil est un désormais un besoin de base, plusieurs tendent à demeurer en lien avec leurs amis de la maison pendant leur voyage plutôt qu'à s'en faire des nouveaux. On voyage sans jamais quitter la maison. Merci Facebook!

Pour la petite histoire, en m'inscrivant à Facebook, j'ai retrouvé mon ami américain. Je le salue encore à l'occasion. Et la photo de la Piazza Navona, elle était bien cadrée? Je ne le saurai jamais. Notre photographe improvisé... n'a jamais vraiment appuyé sur la détente. Cette photo n'existe donc pas. Vivement le numérique.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com