Un arrêt au cimetière

Arlington est un cimetière militaire très vaste où sont enterrés des militaires américains ayant donné leur vie partout sur la planète.

Les parcs grouillent de vie, entre les lacs et plateaux de verdure où les couples s'arrêtent pour un pique-nique. J'aime bien m'y poser, partout dans le monde, pour regarder passer les gens. Ce qu'on y voit, c'est la vie au quotidien, celle des adultes qui s'offrent leur séance de jogging matinale ou celle des enfants qui se tiraillent en route vers l'école.


Les cimetières sont davantage le calme, la mémoire silencieuse d'un autre temps. Ils prennent des formes semblables, mais à la fois tellement différentes d'un pays à l'autre. Le passé des grandes villes, les guerres, les famines, les épidémies, ils subsistent encore dans les pierres gravées pour combattre l'oubli.

Ici, je ne rends que très rarement visite aux morts. Ailleurs, les cimetières figurent toujours sur la liste des « attractions » à visiter. Je finis par m'y arrêter pour voir la sépulture des Dalida, Jim Morrison ou Hans Christian Handersen. Peut-être y voit-on un signe inéluctable que même les plus grands finissent par s'éteindre.

Lors de mon premier passage en Europe, à Paris pour être précis, j'ai entraperçu la tour Eiffel, à partir de la place Trocadéro, avant de me diriger directement au cimetière de Passy. Premier jour en Europe : déjà un cimetière.

On oublie à quel point les différences peuvent nous frapper, ne serait-ce que dans les traditions entourant le décès. Je n'avais jamais vu de caveaux funéraires. Il y avait quelque chose de très étrange à voir ces monuments funéraires flanqués d'énormes feuillus, avec la silhouette de la Tour Eiffel en arrière-plan.

En visitant Washington D.C., il faut bien sûr traverser le fleuve Potomac pour se rendre dans le cimetière d'Arlington. On a beau ne pas avoir la fibre guerrière, on reste muet devant toutes ces pierres tombales blanches parfaitement alignées. Arlington est un cimetière militaire très vaste où sont enterrés des militaires américains ayant donné leur vie partout sur la planète.

Le même alignement de monuments ivoire glace le sang à Sarajevo. Les cimetières sont partout en ville et la plupart des monuments sont identiques. Là, on ne cherche pas et pourtant on trouve. On trouve les souvenirs encore très vifs de la guerre de Yougoslavie. Des parcs, des terrains de football, les terrains du stade olympique, même, sont couverts des cicatrices de la guerre. En arrière-plan, les anneaux olympiques, symboles de dépassement, de fraternité, surplombent le dernier lit de milliers d'individus, la plupart décédés en 1992 ou en 1993.

On voit bien qu'en une année, peut-être deux, on peut emporter dans la mort des populations entières. Et pourtant la vie reprend ses droits.

<p>Quelque part entre Mérida et Celestun, au Mexique, ce petit cimetière coloré en bordure de route passe pratiquement inaperçu.</p>

Quelque part entre Mérida et Celestun, au Mexique, ce petit cimetière coloré en bordure de route passe pratiquement inaperçu.

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

Besogne quotidienne

Plus récemment, alors que je roulais entre Mérida et Celestun au Mexique, je me suis arrêté au milieu de nulle part, dans une toute petite commune qu'on peut très bien rater si on ne porte pas attention. Il y a les arbres, les arbres, deux ou trois rues, et les arbres encore.

Le petit cimetière, en bordure de route, était entouré d'un mur de béton. J'ai pris le temps de m'y aventurer. Là encore, on trouvait des caveaux colorés disposés en trois ou quatre rangées. Derrière l'allée principale, je suis tombé sur trois villageois. Un qui creusait, les deux autres qui le regardaient.

C'était la fin du contrat pour un des défunts. Trois ans, c'est là tout le temps qu'on vous laissera en terre. Ensuite, un homme comme celui-là creusera avec sa petite pelle et sa pioche et libèrera l'espace pour une nouvelle dépouille. Les restes seront déposés dans le caveau familial.

Comme ça, au milieu d'une journée bien ordinaire, c'était la besogne quotidienne de déplacer un corps. C'était la vie qui suit son cours. C'était un paradoxe éclatant qui réduit l'essence de la vie à sa plus simple expression.

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