Pour moi, c’est une très mauvaise excuse de dire que « pour nous, ça ne change pas grand-chose, mais pour eux, ça fait une différence » quand on paie plus que ce qu’on devrait. Quand le prix du marché pour ta banane est de 25 sous et que tu la payes 5 $ sans rouspéter, non seulement tu n’expérimentes pas les traditions locales, mais tu adhères au principe que c’est normal de moduler un prix en fonction de ton apparence ou de ta provenance.
Une négociation réussie, ce n'est pas celle où on repartira avec l'objet convoité et la chemise du vendeur à la fois. C'est celle où on aura l'impression d'avoir payé un prix raisonnable, un prix qui nous satisfait sans nous être fait rouler. Et dites-vous bien que le vendeur ne vous laissera jamais partir s'il ne fait pas au moins un peu de profit.
Négocier, c'est un jeu qui rend un brin inconfortable, qui prend du temps, mais qui peut devenir amusant. Le secret, c'est de magasiner, quitte à refuser toutes les offres à la première tentative, pour voir jusqu'où le vendeur descendra.
En Chine, des amis s'étaient procuré un jeu de Mahjong pour 110 yuans. Le vendeur en demandait 400. Le lendemain, quand j'ai tenté l'aventure à mon tour, pour le même article, on exigeait 1200 yuans. J'ai mis une vingtaine de minutes, l'air cabotin et le sourire aux lèvres, pour arriver à une entente de 105 yuans.
Au Maroc, pour un sac de cuir, le commerçant avait ramené son prix à 200 dirhams. J'ai pris un moment avec un ami pour délibérer, moment pendant lequel notre vendeur nous a fait faux bond. Un collègue l'a remplacé et a relancé le bal pour le double du prix. Notre homme d'affaires est pourtant revenu sur l'entrefaite, tellement gêné par le comportement de son collègue qu'il nous a offert un rabais supplémentaire.
C'est quand le plaisir y est, quand le respect s'est installé que je ne rechignerai pas à offrir un peu plus ou à succomber à une offre qui ne me paraît pas tout à fait juste.
À Rio de Janeiro, dans la favela de Rocinhia, la pauvreté est partout. Avant, les enfants mendiaient quand les touristes affluaient. Aujourd'hui, on leur a appris que rien ne leur est dû, qu'il ne faut pas compter sur la seule générosité des étrangers. On leur a appris à jouer de la musique, à danser dans la rue plutôt que de mendier. Et ils sont fiers quand ils récoltent quelques réals brésiliens parce qu'ils sont récompensés pour leurs efforts.
C'est avec le même regard qu'il faut scruter les négociations. Quand tu me toises, que tu me demandes d'où je viens, ce que je fais dans la vie et si je suis marié, juste pour savoir combien tu peux me soutirer, je n'aime pas. J'aime mieux que tu me donnes l'impression que tu demanderas le même prix à tout le monde. Et qu'après, ça dépendra du talent de chacun pour économiser.
Oui, ça se peut que je m'obstine pour pas grand-chose. Que si on m'a dit de payer 15 roupies indiennes (30 sous) pour un trajet en rickshaw et que tu m'en demandes le double, je rechignerai. Par principe. Parce que j'ai envie de connaître ta culture, de vivre comme toi, de goûter ta nourriture et de me déplacer comme toi. Pas d'être perçu comme un simple guichet automatique. On appelle ça du respect. Par principe, oui, pour éviter que la prochaine fois, ce soit dix fois plus cher. En échange du respect, des fois, on reçoit beaucoup de générosité.
Là où je suis sans pitié, intraitable même, c'est quand on s'est entendu et que le marchand tente de revoir son prix à la hausse. Ça m'est arrivé à Haputale, au Sri Lanka, après avoir négocié le prix d'un taxi avec la promesse que je pourrais le partager avec d'autres voyageurs. Je me suis donc fait des amis qui ont accepté de diviser la facture. Surprise, quand les nouveaux passagers se sont pointés, les coûts avaient bondi.
J'ai un peu compromis une nouvelle amitié en me montrant intransigeant, mais au bout du compte, l'entente initiale a tenu.
Ceci dit, l'important, ce n'est pas tellement d'économiser, mais de s'assurer qu'on nous respecte et qu'on nous prend au sérieux.
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