Chronique|

Un arrêt forcé dans les commerces

Même si je ne suis pas un amateur de lèche-vitrine, le souk de Marrakech vaut le détour.

Le lèche-vitrine, ce n'est pas tellement mon truc. Quand je fréquente les magasins, il me faut aller droit au but, trouver ce que je suis venu chercher, payer et repartir en quelques minutes. Pas besoin de tergiverser bien longtemps pour comprendre que la passion de la dépense ne m'est pas plus tombée dessus parce que je voyage.


Vrai que je visite les marchés quand on les recommande comme attrait touristique. Le grand bazar d'Istanbul, le souk de Marrakech ou le marché des fleurs à Hong Kong méritent quand même le détour. S'il est parfois curieux de voir toutes les babioles qu'on souhaite nous vendre, quand l'achat compulsif ne nous parle pas, on finit par se lasser.

Ça devient encore pire quand on nous force à faire une tournée de commerces qui ne nous intéressent pas le moins du monde.

En Thaïlande, par exemple, j'ai erré pendant un bon moment dans le quartier de Khaosan jusqu'à ne plus savoir où je me trouvais. Je me rendais d'un quai à l'autre dans l'espoir de pouvoir monter dans un bateau-taxi, mais je n'avais pas beaucoup de succès. J'ai donc hélé le premier tuk-tuk qui s'est présenté à moi.

Il faut savoir qu'il importe toujours de négocier avec un chauffeur de tuk-tuk avant de monter dans son véhicule. Celui-là, devant mon air de touriste, ne s'est pas gêné pour exagérer. Mon envie de négocier s'étant égarée quelque part sur le bord de l'eau, j'ai accepté d'emblée. Il fallait voir son regard surpris. Il n'avait pas vu venir mon approbation une seule seconde.

Je suis donc monté à l'arrière du tuk-tuk en énonçant une condition: il fallait prendre le chemin le plus court. J'en avais marre de me balader et j'espérais me poser à mon auberge.

«OK! Mais un seul arrêt en chemin», me dit le conducteur. Décidément, il n'avait pas compris. Il avait à tout le moins le mérite d'être honnête. Je ne pouvais pas le blâmer pour le prix qu'il me chargeait, puisque j'avais acquiescé. Comme si ce n'était pas suffisant de lui refiler une somme importante, il me demandait de l'aider.

S'il faisait halte dans un commerce avec lequel il avait une entente et que le client se donnait la peine d'entrer, M. le chauffeur recevait un crédit d'essence. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour quelques bahts de rabais?

Il s'immobilise donc devant un commerce minutieusement choisi et me demande «seulement» 10 minutes. Si j'accepte de participer, après, promis, nous serons en route vers mon auberge.

Parfois, c'est payant de savoir dire non. Allez savoir pourquoi, j'ai obtempéré. Je suis donc entré, avec une tonne de malaise sur les épaules, dans ce magasin de tissu qui, en réalité, se spécialise dans la confection d'habits.

<p>Le grand bazar d'Istanbul mérite un détour même quand on n'a pas l'intention d'acheter quoi que ce soit.</p>

Le grand bazar d'Istanbul mérite un détour même quand on n'a pas l'intention d'acheter quoi que ce soit.

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

On m'accueille avec les éclats de joie les moins naturels du monde. Et hop, c'est parti la comédie. J'ai sur le dos le même t-shirt que je porte aux trois jours depuis plusieurs mois et un sac à dos qui trahit ma façon de voyager. J'ai une barbe de deux semaines au moins et les chaussures qui menacent de s'éventrer un peu plus de minute en minute. Portrait: pas le type de gars qui se cherche un habit.

Pas grave! Les vendeurs font semblant, me font toucher une dizaine de tissus différents, me demandent de choisir mon favori, m'arrivent avec un catalogue présentant les différents modèles faits sur mesure. La tactique de vente, ici, est agressive et savante. On ne nous demande pas ce qu'on veut, on nous l'impose. Sans trop le réaliser, on aura choisi un costume qu'on trouve respectable.

Puis, le hamster dans la tête commence à spinner. Soit on sort en courant, soit on trouve un moyen poli de se défiler. Le décorum, à Bangkok, il exige quoi? J'étais donc là, à me chercher des excuses pour sortir sans heurter qui que ce soit, même si l'éléphant dans la pièce riait tellement fort que personne ne croyait à la mascarade.

«Alors, tu le veux pour quand ton habit?» me demande le vendeur. «Je n'en ai pas réellement besoin», que je rétorque. «Il peut être prêt en trois jours», me répond-il comme si je venais de passer une commande.

Ne restait plus que le «non merci» et la (trop) longue marche vers la sortie. Ils s'amusaient bien, les vendeurs, poussant le culot jusqu'à me demander pourquoi j'étais entré chez eux si je n'avais pas l'intention d'acheter. C'est à peine s'ils camouflaient leur sourire amusé.

Depuis, j'ai pris l'habitude de mentionner à mes chauffeurs qu'il n'était pas question que je m'arrête dans le moindre commerce. «No shop!» J'ajoute même «s'il vous plaît» quand je sens que ça peut produire son effet.

Je me suis pourtant fait avoir une fois de plus, en Inde, quand on m'a proposé de me faire visiter une manufacture de tissus imprimés où les motifs sont semble-t-il faits à la main. Après un tour rapide de la salle de confection, le vendeur s'est mis à déplier couverture par-dessus couverture pour me convaincre d'acheter.

On m'offrait du thé, des trucs à grignoter, tout en m'assurant que ma mère ou ma copine adorerait les produits qu'ils me balançaient au hasard. En regagnant mon rickshaw, j'ai bien prévenu le conducteur que je ne quitterais plus la banquette arrière à moins de reconnaître mon hôtel.

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