T’es là, assis dans le divan du salon à regarder le mur vide en face de toi. Tu te demandes bien comment occuper tes dix doigts. Tu te demandes ce qu’il y a de l’autre côté de ce mur-là, dehors. Tu te fais des histoires dans ta tête parce que t’as pas envie de te lever, d’ouvrir la porte et d’aller voir. Ton salon, lui, ne bougera pas. Mais toi, tu peux décider de le quitter et d’y revenir autant que tu veux.
« Je ne pourrais jamais voyager comme toi », qu'on me dit souvent. Ah oui? Pourquoi? Parce que si j'ai des super pouvoirs que les autres n'ont pas, j'aimerais ça le savoir.
On me parle de langue, de la nourriture, de l'hygiène... « Je ne pourrais pas », martèle-t-on catégoriquement.
« Si vos rêves ne vous font pas peur, c'est qu'ils ne sont pas assez grands », avait dit la présidente de la République du Libéria. Alors pourquoi craindre cette frousse de découvrir l'étranger? Pourquoi rabattre l'angoisse qui nous tenaille chaque fois qu'on met la clé dans la porte pour partir vers l'aéroport?
L'incertitude sera toujours là, mais on finit toujours par se débrouiller. Mon anglais, mes habiletés sociales, mon goût pour les saveurs différentes se sont développés au fur et à mesure que les tampons s'agglutinaient dans mon passeport. J'ai survécu à la Chine sans parler le mandarin, à la Thaïlande et à ses épices qui arrachent la langue, au Machu Picchu, où il n'y avait pas une seule toilette digne de ce nom.
Mais il y a bien sûr eu cette première fois, pleine d'incertitude, d'erreurs, de stress mal contrôlé. Pour me rassurer un brin, je suis parti avec une amie. Parce qu'à deux, ça va toujours mieux.
J'avais en tête les images que le professeur d'histoire projetait sur une grande toile dans la classe du cégep. Les ruines romaines, les canaux de Venise, les agoras grecques... J'imaginais mal qu'on puisse les visiter. Rome, Paris, Athènes n'étaient pour moi que des photos sur des cartes postales.
Je suis parti avec un itinéraire serré comme ça. Paris, Barcelone, Venise, Rome, tout ça en un mois. Pas bête, j'avais choisi la France comme première destination, question de m'habituer à la différence dans une langue que je maîtrisais.
Tout était pourtant nouveau, à commencer par les contrôles de sécurité à l'aéroport, les questions étranges des douaniers, les turbulences interminables dans l'avion. J'ai tapé des mains comme le plus grand des idiots quand l'avion s'est posé. C'était comme si j'arrivais sur Mars. Je m'attendais à ce que tout soit tellement étrange.
J'ai pris le métro pour la première fois, ai déposé mes bagages à l'auberge de jeunesse, dont je ne connaissais à peu près pas le fonctionnement, et j'ai repris le métro vers le centre-ville. À la sortie, j'aboutissais place Trocadéro. Au bout, la Tour Eiffel se tenait bien droite. C'était renversant. Je peinais à croire qu'il ne s'agissait pas d'un décor de cinéma.
Plus tard, j'ai paniqué quand on m'a annoncé que le train que je voulais prendre était complet. J'ai rapidement compris qu'il y avait toujours une solution.
J'ai vu Barcelone, ai baragouiné un hésitant « Donde esta el parque Guell? » avant de me rendre compte qu'il ne suffisait pas de savoir poser la question. Il fallait aussi comprendre la réponse.
J'ai foulé les marches du Colisée de Rome sans pouvoir prendre la mesure des exécutions qui s'y déroulaient autrefois. J'ai arpenté les rues de Venise en découvrant les joies de se perdre dans une ville qu'on ne connaît pas. Je me suis planté les pieds à la base du Vésuve, à Pompéi, en réalisant que le monde est bien plus grand que ce que je m'imaginais en fixant le mur de mon salon.
Je suis parti en me disant qu'à l'issue de ce premier voyage, j'aurais vu une grande majorité des pays qui me rendaient curieux. Je suis revenu avec la certitude que je n'avais rien vu.
Ironiquement, ces derniers jours, j'ai transité par Paris pour la cinquième fois. Retour aux sources. La Tour Eiffel n'a pas bougé d'un poil, mais elle me renverse toujours autant.
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