Presque mourir pour le kama sutra

Les temples du kama sutra de Khajuraho sont inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO.

J’aime être dépaysé. J’aime aussi tout ce qui ne ressemble pas à mon petit coin de pays organisé, propret et un tantinet cartésien. La circulation erratique, sauf en grimpant ou en descendant une falaise, les animaux en liberté partout, le bruit des klaxons et le piaillement des vendeurs itinérants, j’adore. Sans dire qu’ils me détendent, ces univers me rendent heureux de constater que tout n’est pas pareil partout.


<p>Il n'y a que très peu de choses à voir dans la petite ville de Khajuaraho en dehors de ses célèbres temples.</p>

Il n'y a que très peu de choses à voir dans la petite ville de Khajuaraho en dehors de ses célèbres temples.

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

Ceci dit, le petit côté hypocondriaque-paranoïaque qui sommeille plus ou moins profondément en moi me fait parfois songer à toutes ces fois où nous frôlons sans le savoir, en voyageant, une catastrophe qui mettrait notre sécurité en danger. Ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal.

Par exemple, j'ai grimpé le mont Tangariro en Nouvelle-Zélande quelques mois avant que le volcan qui y sommeille ne se réveille. Ne me blâmez pas, mais le Cotopaxi, en Équateur, vient de se mettre à cracher, deux semaines après que je l'aie salué par le hublot d'un autobus entre Quito et ailleurs.

Mais il y a cette fois en Inde, aussi, où je me suis demandé pourquoi j'avais accordé une aussi grande importance au kama sutra. Explications.

Il y a, loin au sud-est de New Delhi, une petite ville appelée Khajuraho qui ne retiendrait absolument pas l'attention si ce n'était de son complexe de temples ornés de centaines de sculptures représentant le kama sutra. Là-bas, pas de censure. Et assurément, beaucoup de travail a été nécessaire pour ériger ces structures couvertes de petites statues.

Khajuraho est petite, mais les touristes y affluent quand même pour une journée ou deux par pure curiosité.

Moi, je m'y dirigeais pour faire escale entre Varanasi, ville sacrée pour ses crémations en bordure du Gange, et Agra, reconnue pour le Taj Mahal. Sur mon billet de train, la destination finale portait le nom de Satna.

Après sept heures à me laisser bercer sur les rails indiens, je suis arrivé à Satna dans la pénombre. Un chauffeur m'attendait pour me mener à l'hôtel. N'ayant pas consulté de plan pour savoir où j'en étais précisément, j'ai cru qu'il ne suffirait que de quelques minutes avant que je ne m'effondre dans mon lit.

Je ne me doutais pas que nous en avions pour au moins deux heures à sillonner les routes étroites vers Khajuraho, à vitesse grand V comme le font les chauffeurs locaux. Dans la ville de Satna, une bande médiane séparait très clairement les voies de circulation. Mais une fois l'agglomération derrière nous, les fossés se sont rapprochés et la bande médiane a disparu.

Dans la campagne indienne, où les réverbères se faisaient parfois rares, j'avais à l'occasion l'impression que nous roulions directement au milieu du champ. À la lumière de nos phares, la route ne m'apparaissait pas particulièrement bien balisée. Il faut dire que nous roulions à un train d'enfer.

J'avais beau avoir les paupières qui me tombaient avec la lourdeur de boules de quille, je n'arrivais pas à me détendre ou à détacher mes yeux de la route.

Comme un peu partout dans le pays, les dépassements sont dignes de cascades. À tout moment, deux gros globes lumineux s'amènent à toute vitesse et il est préférable de a) ralentir b) nous ranger sur le côté de la route ou c) d'empiéter sur l'accotement pour éviter les collisions. Y'a le son des klaxons qui agit comme trame sonore à l'occasion.

Pour chaque dépassement, qu'il soit initié par mon chauffeur ou par celui d'un bolide en sens inverse, je serrais les poings et les orteils, comme si ça pouvait nous ralentir. Je me suis mis à serrer les poings aussi quand il fallait traverser des ponts larges comme une seule bagnole et que personne ne semblait vouloir céder le passage. J'ai serré les poings pour plusieurs courbes attaquées à la vitesse F1.

Quand il s'est mis à pleuvoir, j'ai commencé à regarder ma montre aux minutes. Quand le brouillard s'est levé mais que le conducteur, lui, n'a pas levé le pied, j'étais encore un peu plus nerveux. Quand j'ai vu ses paupières devenir aussi lourdes que les miennes, j'ai senti le besoin de lui demander si tout allait bien.

Oui, oui, a-t-il bredouillé en agitant une main, comme pour chasser les mouches. C'est là que je me suis convaincu que je mourrais simplement pour aller observer des temples aux sculptures grivoises. Le soupir que j'ai poussé quand nous nous sommes finalement immobilisés à destination.

Heureusement, pour l'étape suivante du voyage, j'ai trouvé un train qui partait directement de Khajuraho... Et les temples? Ils ne méritent certainement pas qu'on risque notre vie pour les voir.

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