Hiroshima après la bombe

Le train à haute vitesse s'est ébranlé d'Osaka. Direction : Hiroshima. Ça me fait un peu drôle de penser qu'au bout du trajet, je descendrai dans la première ville où la bombe atomique avait été larguée. On soulignait la semaine dernière les 70 ans de l'attaque contre Hiroshima. J'ai revu un instant le touriste un peu naïf que j'étais qui s'y présentait pour la première fois.


À la gare, j'ai posé les yeux sur les autobus qui sillonnaient les rues, sur les tramways qui s'arrêtaient pour faire monter et descendre un flot de Japonais à chacun des arrêts. Les nuages couvraient une bonne partie du ciel. Le gris de l'horizon se mélangeait au gris du bitume et au gris des édifices.

J'étais un peu surpris de voir toute cette vie qui suivait son cours, de voir tous ces gens qui étaient visiblement attendus quelque part. Pour être honnête, je ne sais pas précisément à quoi je m'attendais. Hiroshima. Le symbole est fort. J'ai vu les images, entendu les histoires de ce 6 août 1945. Rarement, par contre, avais-je été exposé à l'Hiroshima d'aujourd'hui.

Le mystère était donc presque entier, un peu comme quand on passe la barrière du camp d'Auschwitz en Pologne ou quand on descend de l'avion à Sarajevo, des endroits qu'on nous décrit toujours avec des qualificatifs tout droit sortis d'un film d'horreur. Et il y a cette surprise d'entendre les oiseaux chanter, de pouvoir respirer l'air, de voir ces gens faire comme si... C'est bête, parfois, les réactions qu'on a.

Le 6 août 1945 a sonné la fin d'un monde, donné des visions d'apocalypse, mais la ville d'Hiroshima qu'on connaît aujourd'hui a recommencé à vivre doucement aussitôt la bombe volatilisée. Et c'est pourquoi ils sont plus d'un million à refuser d'oublier, mais à y vivre leur quotidien quand même.

Je me suis dirigé lentement vers les sites d'intérêt, vers les différents mémoriaux qui rappellent la force du souffle qui a avalé plus de 70 000 vies d'un seul coup, sans compter toutes les âmes envolées dans les jours subséquents. Déjà, une première statue de métal tordu m'a captivé, troublé. J'ignorais encore ce qui viendrait.

Après avoir passé une éternité devant cette première ode aux victimes, j'ai vu le dôme de Genbaku, aussi appelé dôme de la Bombe atomique. Il s'agit d'un des rares bâtiments demeurésdebout après l'explosion de la bombe. Le point d'impact, pourtant, n'était qu'à quelques mètres de là. Le pont Aioi, en forme de T, pris pour cible pour larguer « Little Boy », servait ce jour-là d'observatoire pour un couple qui s'enlaçait.

Une Japonaise s'est alors approchée de moi, m'expliquant qu'elle apprend l'anglais à l'université. Elle souhaiterait discuter avec moi pour s'exercer. Sur un banc avec une vue parfaite sur le dôme, elle a ouvert un cahier à anneaux et m'a expliqué en détail comment la première bombe atomique avait été larguée.

C'est fou ce qu'on retient, mais surtout ce qu'on ne retient pas, des événements horribles qu'on nous rapporte dans les cours d'histoire. Devant ces ruines du patrimoine mondial de l'UNESCO, ma tête ne parvenait pas à imaginer l'ampleur du drame qui avait secoué cette petite ville japonaise. Pourtant, à mes yeux, tout devenait tellement plus réel parce que je me trouvais là, sous le ciel qui avait laissé tomber une partie de fin du monde.

C'était donc surréel qu'une Japonaise me raconte la bombe atomique avec autant de détachement, qu'elle m'explique qu'Hiroshima était une cible parfaite en raison des conditions météorologiques favorables.

Une fois le cours d'histoire terminé, alors que j'assimilais encore les détails qu'on venait de me dévoiler, la dame m'a offert un cadeau pour me remercier. En plus de me donner son adresse courriel pour que je puisse échanger avec elle, elle m'offrait une pièce d'origami qu'elle avait elle-même pliée.

J'ai marché à travers les parcs jusqu'au musée de la Paix. Les photos des victimes, les objets tordus par la chaleur de l'explosion et les récits forcent l'esprit à toutes sortes de contorsions pour s'empêcher d'admettre la douleur et la terreur de la Deuxième Guerre mondiale.

Mais c'est justement de voir, de comprendre, qui permet d'évaluer jusqu'où l'Homme peut aller. Comme à Auschwitz, comme à Sarajevo, comme aux champs de la mort au Cambodge, à la sortie du musée de la Paix, on nous rappelle que le Monde doit se souvenir. Le Monde doit se souvenir pour que plus jamais la même horreur se reproduise. Et on est là, à Hiroshima, là où la vie a refusé d'abdiquer, et on se dit que le Monde ne se souvient visiblement de rien.

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