Les semelles bien usées

Au bout de six kilomètres de marche dans la vallée des Roses en Turquie se trouve la petite ville de Çavusin, où d'anciennes maisons troglodytiques construites à même une falaise peuvent être explorées.

La première fois que j’ai réalisé que tout le monde ne calculait pas les distances de la même façon, c’était à Paris, où on me conseillait de prendre le métro entre deux gares consécutives. À pied, on ne mettait pas plus de dix minutes pour relier le point A et le point B sans dépenser le moindre sou.


<p>Le Golden Gate Bridge de San Francisco</p>

Le Golden Gate Bridge de San Francisco

(La Tribune, Jonathan Custeau/La Tribune, Jonathan Custeau)

Il n’a donc fallu que très peu de temps pour que je m’efforce de marcher autant que possible lorsque je me trouve à l’étranger. C’est excellent pour la santé et ça permet de s’arrêter partout, tout le temps.

Le métro est une invention géniale, mais il faut l'avouer, le paysage laisse à désirer. Le tramway a ce petit quelque chose de romantique à San Francisco ou Lisbonne, mais je préfère l'emprunter sur le chemin du retour, quand mes orteils menacent de traverser les semelles.

J'ai justement marché un peu beaucoup dans San Francisco, où mon sens de l'orientation en a pris pour son rhume. Les dénivellations trop fréquentes ont complètement déboussolé mes instincts. Il reste qu'une fois le long de la baie, près de Fisherman's wharf, j'ai additionné les pas vers le fameux Golden Gate Bridge, que j'ai traversé aller-retour en posant un pied devant l'autre, ce qui m'a laissé le temps de voir le soleil se coucher sans le moindre brouillard.

Je marche aussi les villes qui offrent des tours guidés gratuits, particulièrement en Europe. Il s'agit d'un excellent moyen d'en apprendre sur l'histoire tout en établissant quelques repères. Il faut toutefois se méfier des guides trop enthousiastes qui enchaîneront les déclarations loufoques. Il faut savoir distinguer le vrai du faux.

Cela dit, marcher permet souvent d'admirer des paysages tout en se plongeant dans ses propres pensées. Parmi les plus sympathiques randonnées que j'ai effectuées se trouve celle de la vallée des Roses à Gorëme, en Turquie. Cette espèce de canyon de la Cappadoce constitue un endroit idéal pour faire le plein de calme. On y trouve des formations rocheuses propres à cette région du monde et une solitude plutôt bienvenue.

Au bout des six kilomètres de marche se trouve la petite ville de Çavusin, où d'anciennes maisons troglodytiques construites à même une falaise peuvent être explorées. Nous avons grimpé les différents rochers avant de découvrir qu'un chemin aménagé menait au sommet des installations. D'en haut, la vue sur la vallée est imprenable.

Pendant que nous y étions, nous avons choisi de pousser la marche jusqu'à Pasabagi, un site touristique reconnu pour ses énormes champignons de pierre. C'est en visitant ce site que nous avons convenu qu'il n'était pas question de faire le chemin inverse autrement qu'en transport motorisé.

Récemment, au Sri Lanka, j'ai refusé qu'on me trimballe de temple en temple, dans la campagne près de Kandy, où j'ai visité des temples bien isolés les uns des autres. Il fallait marcher en moyenne trois kilomètres entre chacun d'eux sur des chemins mal entretenus, sous le soleil cuisant. Il n'y avait personne dans la rue, sauf peut-être un écolier par-ci par-là.

Les enfants, en m'apercevant, choisissaient de faire un bout de chemin avec moi et de pratiquer leur anglais. Ils espéraient un peu d'argent, des bonbons ou un stylo pendant qu'ils y étaient. Et il y avait les adultes, parfois, dans l'embrasure d'une porte, qui ne manquaient pas de me saluer. Je me suis rempli les yeux d'une beauté que je n'aurais pas su découvrir autrement.

Et il y a cette fois où je suis rentré du West End de Londres, le quartier des spectacles, vers Hyde Park, à la toute fin de la soirée. Il n'y avait que cinq kilomètres environ, mais il était rafraîchissant de voir la capitale anglaise s'apaiser et s'endormir. Quand la nuit tombe, les villes prennent un autre visage et marcher permet de leur accorder le temps qu'il faut pour les contempler.

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