N’empêche que ça fait rêver. Los Angeles, c’est le cinéma, les plages, les allées de palmiers. On s’imagine tous ces Américains au teint bronzé qui circulent en décapotables. On s’en fait une image grosse comme ça, avec les bijoux bien en évidence, les muscles saillants et le Botox plein le visage. On est comme ça avant de partir : on croit tout ce qu’on a vu à la télévision.
À ma sortie du métro, à mon arrivée à Los Angeles, j'avais les yeux grands de voir et de fouler le plus mythique boulevard d'Hollywood. Mon bagage sur le dos, j'ai pris une rue perpendiculaire, sur la gauche, pour arriver à mon auberge. Elle était non seulement entourée de palissades, mais des clôtures de barbelés couraient de chaque côté du bâtiment. Et vlan le rêve américain.
Ces jours-là, on préparait le Dolby Theatre, autrefois le Kodak Theatre, pour la cérémonie des Oscars. Les reproductions énormes des statuettes gisaient dans la rue entravée en attendant d'être disposées correctement. À un jet de pierre, devant le Chinese Theatre, s'agglutinaient les mascottes qui réclamaient quelques sous en échange d'une photographie. Darth Vader, Spiderman et autres s'entassaient sans joie dans une mer de touristes. Voilà le bling, bling.
Il suffit pourtant de s'éloigner de l'artère des artifices pour croiser toutes sortes d'Américains. On se rend compte qu'Hollywood est beaucoup plus représentatif de l'Amérique qu'on pouvait le penser.
En prenant l'autobus vers Venice Beach, j'avais l'impression de me retrouver dans une sitcom où personne ne déroge de son rôle bien campé, à commencer par le chauffeur, stéréotype du conducteur de bus, que tout le monde semblait connaître par son petit nom : Zeus. Ça ne s'invente pas!
Alors qu'ici on n'adresse à peu près jamais la parole à notre voisin dans les transports en commun, dans une grande ville comme Los Angeles, les discussions commencent comme le feu dans une botte de foin : en claquant des doigts. Du moins, c'était le cas dans cet autobus-là.
Il y avait cet homme, quelque part dans la vingtaine, qui se montrait particulièrement sociable. Sa volubilité n'avait d'égale que le nombre de sacres qu'il savait placer dans une phrase. Il me racontait sa vie comme si nous étions des amis depuis toujours.
Il racontait sa copine, qui avait endommagé sa voiture et qui n'aurait plus le droit de la conduire. Il racontait le gamin qu'il avait attrapé à crever des pneus dans son quartier, à qui il avait pratiquement fracassé les doigts en lui promettant de le retrouver s'il recommençait. Entre deux histoires qui ne donnaient pas envie de le contrarier, il balançait une insulte misogyne pour cette femme qu'on s'était donné la peine d'attendre parce qu'elle courait derrière le bus.
Hollywood, c'est un tas de choses. C'est un peu cet homme-là aussi.
Dans les deux heures qu'a duré le trajet, j'ai aussi fait la connaissance d'une vieille dame qui m'a elle aussi laissé sans mot. Assise le dos contre la fenêtre, elle parlait au cellulaire avec bienveillance, comme une mère le ferait pour rassurer son enfant.
En raccrochant, elle a tourné la tête vers moi. « C'était ma soeur », a-t-elle expliqué sans que je demande quoi que ce soit. « Je prends soin d'elle aujourd'hui. »
Elle a relevé sa manche pour me montrer des numéros tatoués sur son avant-bras dans les années 1940. Au camp de concentration, disait-elle, elle prenait soin de sa soeur. Elle prenait encore soin d'elle sept décennies plus tard.
Je n'ai pu qu'opiner du bonnet. Hollywood, c'est un peu cette femme-là aussi.
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