Pourtant, la vie va son petit bonhomme de chemin au quotidien dans les gratte-ciel de Los Angeles, ces géants de béton qui pourraient bien s’affaisser si la secousse est aussi puissante qu’on l’estime. Y a cette énorme épée de Damoclès qui n’empêche pourtant pas les touristes d’affluer vers Venice Beach et les environs. Y a cette menace constante qui ne m’empêche pas d’inclure la Californie dans mes projets pour l’été.
Il faut tout un coup de bol, ou plutôt un grand manque de chance, pour se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Mais quand on multiplie les sorties, on augmente aussi les probabilités de se faire attraper par un tremblement de terre, une vague géante ou une éruption volcanique. Veut, veut pas, on y pense.
Quand j'ai effectué la traversée de Tangariro, un volcan endormi de Nouvelle-Zélande, j'ai bien noté ces panneaux qui nous informaient qu'en cas d'éruption, il fallait courir le plus vite possible vers le bas. J'imaginais mal comment je m'en sortirais si ça arrivait, alors que la randonnée me paraissait déjà un peu pénible au pas de marche.
À peine quelques mois plus tard, le volcan s'est réveillé. Il n'est plus possible de suivre la piste d'un côté à l'autre sur le volcan.
Quelques jours plus tard, à Christchurch, je constatais les dégâts laissés par deux tremblements majeurs survenus dans les mois précédents. Là encore, des dizaines d'édifices menaçaient de s'étendre de tout leur long dès que le sol se déroberait. J'ai marché le centre-ville dévasté avec tous les risques que ça comportait.
Quand on sort des sentiers battus, on aboutit parfois dans des villages où on finit par fermer l'oeil dans un hôtel aux conditions rudimentaires. On ne peut s'empêcher, à l'occasion, de se demander si les quatre murs qui nous entourent sauront résister à la moindre intempérie. On se demande parfois si on trouverait le moyen de s'extirper de ces quatre murs si, par exemple, le feu venait à bloquer la sortie principale.
Après avoir constaté avec effroi le malheur qui s'était abattu sur tout le peuple népalais à la fin du mois d'avril, j'ai eu une pensée pour ces voyageurs qui se trouvaient là par hasard. J'ai eu une pensée pour eux parce que je venais de quitter le Sri Lanka, un pays tellement près de là, et que quelques-uns des backpackers rencontrés prévoyaient justement de poursuivre leur périple vers le Népal.
Au Sri Lanka même, d'ailleurs, le tsunami de 2004 est encore bien présent à la mémoire. La vague immense a dévasté les côtes comme elle l'a fait en Thaïlande, en Indonésie et en Malaisie. À Galle, petite ville coloniale à proximité de Colombo, on raconte que la mer a emporté des centaines de voyageurs qui attendaient à la gare principale.
C'est précisément à cet endroit que le bus m'a déposé à mon arrivée. C'est là, aussi, que j'ai pris le train pour rentrer dans la capitale. Ma tête n'arrivait pas, et ne voulait pas, s'imaginer le piège que les vagues avaient refermé à cet endroit précis.
La portion touristique de la ville, située à l'intérieur de fortifications, s'avance carrément dans l'océan Indien. On dit que les dommages y ont été minimes, les remparts ayant permis de contenir les vagues. Le malheur frappe parfois avec toute une dose d'ironie.
Quelques jours plus tôt, j'avais loué une chambre directement sur la plage de Tangalle, sur la côte sud du Sri Lanka. Il y est interdit de bâtir quoi que soit à l'intérieur d'une marge bien définie sur les berges. Pourtant, certains propriétaires soucieux d'offrir la meilleure vue sur l'océan dérogent aux directives.
J'ignore si mon hôtel respectait ou pas les normes établies. La porte de devant donnait directement sur la plage. La fenêtre de derrière voyait une falaise s'élever jusqu'à s'en tordre le cou. Je n'ai pu m'empêcher de penser qu'il serait bien difficile de gagner la bataille contre un mur d'eau qui s'amènerait à grande vitesse. Mais j'ai pris le risque, parce que j'étais là.
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