Je n’ai pourtant jamais l’impression d’être aussi authentique que lorsque je prends le large. Je n’ai trouvé, pour être ouvert aux autres, que cette recette-là.
J'en connais qui ont 40 ans et qui s'en donnent 27-28 une fois la frontière franchie. Je n'y verrais que du feu si je ne le savais pas. D'autres évitent de donner leur vrai nom, par pure méfiance.
De plus en plus, toutefois, j'évite de dire que je suis journaliste. Pas que je sois paranoïaque, mais le danger est bien réel. On dit à la blague qu'une escorte policière apparaîtra plus vite que le maglev, à Pékin, si on s'annonce journaliste sans autorisation près de la place Tiananmen. Plusieurs m'ont déconseillé de mentionner mon occupation au Maroc, en Inde, au Sri Lanka, en Turquie... et j'en passe. Alors j'invente.
Un journaliste croisé dans un de ces pays s'improvisait cultivateur de carottes, quand les autorités le demandaient. Qui pourrait bien en vouloir aux cueilleurs de carottes?
Sinon, je suis d'une nature honnête. Vous me pardonnerez cette fois où, avec un ami tamoul à la peau très foncée, nous avons réussi à faire croire à un vendeur de rue que nous étions des frères. Nous l'avons vu douter quelques secondes, mais il n'a pas bronché.
En vérité, je n'ai raconté qu'un seul gros mensonge dont je ne sois fier qu'à moitié. C'était mon histoire de pêche à moi.
Pour tuer l'ennui de la route entre Melbourne et Sydney, en Australie, je m'étais joint à un groupe organisé qui faisait quelques escales dans des lieux dignes d'intérêt... tant qu'à y être. Nous nous étions retrouvés au pied du mont Kosciuszko, le pic le plus élevé, quoique pas très haut, de toute l'Australie.
Avant de monter dans les fameux télésièges, on nous avait bien prévenus que le temps nous était compté et qu'il faudrait redescendre dans ces chaises mécaniques avant 16 h 30. Sinon? Sinon la descente serait longue et éreintante, à pied, en comptant les marches par centaines. On disait que même les randonneurs en forme s'en trouvaient courbaturés le lendemain.
Le vent fort faisait tanguer les chaises du télésiège et le brouillard avalait tout le sommet. Une fois sur nos jambes, avec l'espoir d'atteindre le point culminant australien, nous devions combattre ce même vent pour chaque pas qui nous menait en avant.
Même en ne flânant pas trop, nous avons marché jusqu'au bout du sentier en sachant que le temps nous serait compté pour revenir sur nos pas. Le seul avantage, c'est que nous aurions le vent dans le dos. Il nous a néanmoins été nécessaire de courir pour découvrir avec bonheur que le télésiège fonctionnait toujours. Sans hésiter, nous pouvions affirmer que nous étions les derniers encore sur la montagne quand nous avons entrepris la descente.
Au chalet, en soirée, nous avons pourtant affirmé être arrivés trop tard pour profiter de la descente. Même si rien ne collait dans notre fable exagérée, une bonne partie du groupe nous a crus et nous a célébrés. Un aventurier norvégien dans la quarantaine, l'air d'un Viking qui n'a peur de rien, nous a flanqué une grande claque dans le dos en se disant bien fier de nous. Il en avait vu du pays, mais il était impressionné.
La blague a pris une ampleur disproportionnée et nous ne savions plus comment la désamorcer, si bien que nous l'avons laissée porter. Il y avait aussi cette dame, dans la soixantaine, qui nous regardait avec admiration. Nous ne pouvions que la décevoir... alors nous avons tenu notre langue.
Et à travers les aventures du reste du voyage, nous avons simplement oublié de nous confesser au groupe. Si vous rencontrez une dame vous racontant l'exploit de trois jeunes hommes ayant descendu à pied le plus haut sommet d'Australie, vous saurez que c'est probablement de la foutaise. Et vous vous souviendrez qu'une faute avouée est à moitié pardonnée...
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