Remarquez, c’est un peu la même chose pour les autobus, qui parcourent des routes de mieux en mieux entretenues, mais pour lesquels il faut compter un maximum de 40 kilomètres grignotés toutes les heures. Le bus part toutes les 30 minutes, mais offre peu d’espace pour les bagages et le paysage qu’il permet d’observer est moins impressionnant.
Autant que possible, j'optais donc pour le chemin de fer tout en sachant, il y a deux semaines environ, que les célébrations du nouvel An cinghalais et tamoul risquaient de faire exploser l'achalandage de façon considérable.
J'avais décidé de partir de Kandy, ville phare du centre du Sri Lanka, vers Hatton, ville de destination pour tous ceux qui espèrent grimper le Sri Padaya, aussi appelé pic d'Adam, et ses quelques 5000 marches. Le pèlerinage en montage commence en général vers 2 h du matin, d'où l'intérêt de transiter par Hatton très tôt la veille de l'expédition.
Ma planification était parfaite. En partant vers les 9 h de Kandy, j'arriverais à destination en fin de matinée. J'aurais amplement le temps de faire quelques courses, de grignoter et de m'offrir un long somme avant que l'alarme ne retentisse en plein milieu de la nuit.
À la gare, dont les quais étaient bondés, il était devenu impossible de réserver une place assise dans quelques wagons que ce soit. Il faudrait probablement se résigner à demeurer debout ou à s'asseoir directement sur le plancher.
Un touriste français s'inquiétait d'une rumeur selon laquelle il faudrait changer de train, quelque part à mi-parcours, même s'il n'y avait de toute évidence qu'une grande ligne sur le chemin emprunté. Un Sri lankais sympathique lui a confirmé : « Habituellement, problème! Aujourd'hui, gros problème! »
Quand le train s'est pointé, avec une heure de retard, nous avons effectivement été comprimés quelque part près des toilettes, avec à tout le moins une vue intéressante par les portes extérieures demeurées ouvertes. Au fur et à mesure que s'accumulaient les haltes, des passagers descendaient, libérant quelques sièges. C'est ainsi qu'au bout d'environ deux heures, j'ai pu trouver un fauteuil libre pour me poser.
Mais voilà, le convoi s'est immobilisé au milieu de nulle part quelques minutes plus tard. Déjà, quantité de Sri lankais se pressaient vers la sortie. Les touristes hébétées ont mis quelques minutes de plus à comprendre qu'ils n'iraient pas plus loin.
Avec nos bagages, nous sommes descendus sur les rails en suivant la foule qui contournait un convoi immobilisé. Celui-ci servait strictement à signaler un problème sur la voie.
Un peu plus loin, nous avons aperçu l'élément perturbateur. Un wagon-citerne, à demi renversé, obstruait le passage. Le spectacle était impressionnant et nous ne pouvions que déduire qu'un nouveau train viendrait nous cueillir.
De l'autre côté, le chemin de fer s'enfonçait entre deux parois rocheuses. Les voyageurs, tout à coup, s'agglutinaient le long des rochers alors qu'un nouveau train, lui aussi bondé, s'approchait à vitesse de tortue. Commençait le chacun pour soi.
Sans autre forme de coordination, les uns descendraient de ce convoi alors que les autres tenteraient de s'y hisser dans le chaos le plus total.
Les uns, pressés de monter pour obtenir un des rares sièges disponibles, poussaient et s'entassaient, de plus en plus comprimés dans une chaleur déjà écrasante, pendant que d'autres peinaient à effectuer le trajet inverse.
J'ai finalement retrouvé ma place initiale, assis dans l'entrebâillement d'une porte toujours ouverte, à défaut d'un fauteuil confortable. Remarquez, ça me convenait amplement pour apprécier les montagnes et les vallées qui défileraient bientôt sous mes yeux.
Et pendant que je reprenais mes esprits, d'autres bataillaient à évincer les sangsues qu'ils avaient chopées dans le transit entre les deux trains. Les sangsues, elles sont voraces dans la nature omniprésente du Sri Lanka.
Au final, c'est avec plusieurs heures de retard que je suis descendu à la gare de Hatton, fatigué, il va sans dire, mais avec une nouvelle aventure inédite dans le sac à dos.
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