Insultez le touriste

Dans la médina de Fès, un véritable labyrinthe, il faut parfois un peu d'aide pour se retrouver. Il n'est pas rare que les Marocains tendent ensuite la main en espérant un pourboire.

Les Québécois ont les défauts de leurs qualités. Accueillants quand ils reçoivent des étrangers, ils ont ce quelque chose de naïf quand c’est eux qui partent à la découverte du monde. Le peddler qui hèle les touristes pour leur vendre des gogosses, avec le mot attrape-nigaud en néons clignotants au-dessus de sa tête, il trouvera souvent une écoute attentive chez le Québécois.


On m’a dit que les Australiens étaient pareils. Il y a cette incapacité à dire non. Cette volonté de ne pas contrarier et d’être poli aussi. Quand on te dit bonjour, tu réponds. Et tu finis par te rendre compte trop tard que les douze monsieurs qui t’interpellaient d’un «Hey... you!» n’en voulaient qu’à ton argent.

Quand on n'a pas grandi dans un univers où la sollicitation est aussi importante, quand on n'a pas appris à se méfier, on perd un temps fou à essayer de se défiler de ces marchands du bric-à-brac. N'empêche, être un tantinet naïf et demeurer toujours calme peut éviter une pile de problèmes. Au pire, on essuie quelques insultes.

J'ai des amis étrangers qui ne se laissent pas mener en bateau. Ils n'hésiteront pas à ignorer, voire à insulter, ceux qui se montrent trop insistants après un «non!» bien senti. Ils ont l'oeil bien aguerri pour déceler les marchands trop insistants. En ce qui me concerne, c'est en Inde et au Maroc que j'ai enrichi ma collection d'insultes.

À New Delhi, par exemple, j'arpentais les rues autour de mon hôtel au premier jour d'un voyage en Inde. J'ignorais encore que je logeais dans un quartier où il n'y avait rien à voir, rien à manger. J'explorais, une fois la nuit tombée, quand un chauffeur de rickshaw a repéré le Blanc dans cette mer d'habitudes.

«Hey! Where are you going?» Nulle part, que je réponds! J'explore. «Where are you from?» Haaa, le Canada. Il aime! Parce que son cousin, comme le cousin de tous les Indiens, vit à Toronto. Il aime bien les Canadiens, sympathiques, gentils, ouverts. Ce n'est pas comme les Anglais, qu'il dit. Eux, il les déteste. Ils sont pingres.

Il me propose de m'emmener pour deux heures, dans son rickshaw, pour discuter, apprendre à se connaître et me faire visiter la ville. De toutes les villes, Delhi est celle où j'ai peut-être le moins envie de faire confiance à quelqu'un qui m'est étranger. Pas trop envie, bref, de me faire entraîner vers l'inconnu, par un inconnu, dans l'obscurité relative d'une ville surpeuplée.

D'une politesse légendaire, j'ai décliné de tous les euphémismes qui m'auraient personnellement convaincu de faire de l'air. Mais là, ce n'était pas pareil. Parle, parle, jase, jase, et bye-bye.

Je me suis remis en route pensant avoir échappé au roi des pots de colle quand j'ai réalisé que je risquais de m'enfoncer dans des rues encore plus sombres. J'ai rebroussé chemin et croisé à nouveau ledit chauffeur de rickshaw.

«Come on! Just two hours!» Hey non!

«Fucking British!» qu'il m'a lancé. Pour lui, de toute évidence, c'était une insulte vraiment méchante. Mais moi j'aime bien les Anglais.

Same, same au Maroc, dans la médina de Fès, labyrinthe parmi les labyrinthes où mon sens de l'orientation plus que légendaire s'est retrouvé complètement confondu.

On a toujours le choix, quand la lune apparaît, de faire à sa tête ou de faire confiance à un résidant qui nous offre de nous dépêtrer. J'ai pris la deuxième option, tout en me demandant si je m'enfonçais davantage dans le labyrinthe ou si mon guide me menait à bon port.

Presque arrivé à la destination choisie, il a exigé beaucoup d'argent. Ils ont l'habitude, les Marocains des grandes villes, de tendre la main pour un pourboire quand ils rendent service. Lui, il demandait 100 dirhams (13 $), le salaire moyen pour une journée de travail. Pour cinq minutes à me montrer le chemin, j'offrais plutôt 10 dirhams.

Il s'est emporté, a lancé les dix dirhams au sol et a sorti son dictionnaire d'insultes locales. «T'es juif ou quoi?» Décidément, quand ils ne sont pas contents, ceux-là, ils tombent dans le racisme. Le jeune homme a monté le ton, m'a talonné alors que je rejoignais subtilement la foule et m'a menacé de me suivre jusqu'à mon hôtel. C'est sûr que l'agressivité envers les touristes, c'est payant...

Le Québécois poli en moi s'est tu. J'ai haussé le ton : dix dirhams ou rien! Il a pris la pièce que je lui tendais et s'en est allé.

Insultes et intimidation ne sont plus des arguments qui trouvent écho chez moi.

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