Chronique|

Papi à l’auberge de jeunesse

À Grenade en Espagne, j'ai vite réalisé que j'étais l'aîné du groupe de voyageurs qui logeait à la même auberge que moi.

Janvier 2006. Je partais pour l’Europe pour la première fois. J’entendais parler du concept d’auberge de jeunesse pour la première fois également. Et je m’imaginais qu’il n’existait que les établissements du réseau Hosteling International, duquel il fallait absolument devenir membre.


C’était probablement le début de l’âge d’or des auberges du genre. Sans la carte de membre, le prix était beaucoup plus élevé. Les dortoirs étaient souvent volumineux, certains établissements chargeaient des frais supplémentaires pour la location de draps tandis que d’autres limitaient l’âge des clients admissibles entre 18 et 35 ans. De là, peut-être, le mot jeunesse dans l’appellation.

Les réseaux se sont développés. Les auberges se sont multipliées. On ne fait plus payer pour les draps, on offre des chambres privées, des dortoirs plus intimes, et surtout, il n'est plus courant du tout de fixer une limite d'âge.

J'en suis tout de même venu à me demander jusqu'à quand il sera encore bien vu, et agréable, de passer mes nuits dans ce genre d'établissement. L'âge, ç'a bien beau être dans la tête, des fois, on a l'impression de détonner.

En Nouvelle-Zélande, dans une auberge de Queenstown détenue par un homme dans la quarantaine qui avait largement bourlingué lui-même, un touriste dans la cinquantaine partageait mon dortoir. Ils étaient même plusieurs, plus vieux que moi, à se déplacer en solo pour apprécier la nature du pays des hobbits. Nous avons eu d'agréables discussions.

À Lisbonne au Portugal, j'ai croisé un couple montréalais qui avait opté pour une chambre privée dans une auberge du centre-ville. Pour se hisser à l'étage, il n'y avait pas d'ascenseur. Juste plusieurs volées de marches. Lui avait 75 ans. Elle, 77. Au déjeuner dans la salle à manger commune, ils échangeaient avec plaisir avec tous ces jeunes qui découvraient le monde pour la première fois. Ils voyageraient toujours avec un sac à dos, ont-ils promis. Seulement, la taille du sac diminue avec les années pour qu'ils puissent encore le porter.

En comparaison, mes interrogations paraissent parfois ridicules. À Grenade en Espagne, l'automne dernier, j'ai dormi dans une auberge très particulière qui possédait une maison dans un arbre, plusieurs hamacs et une cour intérieure où il faisait bon se prélasser.

Avec un groupe de voyageurs que je venais de rencontrer, je suis parti essayer les tapas d'un restaurant du centre-ville. Un de ces backpackers, visiblement plus jeune, avouait en être à sa première sortie en auberge de jeunesse. Il n'avait jamais voyagé avant.

Les autres racontaient leurs multiples aventures, comment ils avaient trouvé le Laos, la Thaïlande, l'Amérique du Sud. Jusqu'à ce qu'ils mentionnent attendre avec impatience le jour où ils auront leur permis de conduire... et celui où ils auront l'âge légal pour louer une voiture.

« Euh, quel âge vous avez? » que Papi a demandé. Le plus vieux du groupe, à part moi, venait d'avoir 20 ans. Coup de mailloche entre les deux yeux. J'ai vu des étoiles pendant quelques secondes. Pas qu'une dizaine d'années de différence soit catastrophique, mais je réalisais tout à coup que nous n'abordions pas nécessairement le voyage de la même manière.

Ils ont été polis, m'auraient donné au moins cinq ans de moins, mais ils trouvaient que deux semaines pour voyager, c'était bien court.

Ceci dit, je me suis fait des amis beaucoup plus jeunes et beaucoup plus vieux en fréquentant les auberges de jeunesse. Tout est une question de personnalité.

Ainsi, le choix de l'établissement et de la destination y seront pour beaucoup dans le type de personnes qu'on rencontrera. Les auberges commerciales, à bas prix, attirent la clientèle jeune, fauchée, qui court les pub crawls (une tournée des bars de la ville) et qui n'use que très peu son matelas. Dans les endroits plus petits, les voyageurs passés la mi-vingtaine se retrouveront entre eux, ne seront pas gênés d'allonger cinq dollars supplémentaires pour un bon matelas et une salle de bain privée.

Et quand un de ces jeunes nous demande dans quel programme universitaire nous sommes inscrits, nous avons le choix de sourire et de le prendre comme un compliment, ou de nous offusquer et de paraître plus vieux que notre âge.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com