L’an dernier, j’avais follement envie de Turquie. Un siège vers Istanbul m’attendait déjà quand ont éclaté les manifestations de la place Taksim contre le régime du président Erdogan. La télévision nous renvoyait jour après jour des images de plus en plus violentes. Les canons à eau, les fusils aux balles de caoutchouc et les gaz lacrymogènes visaient à repousser les manifestants. Certains y ont laissé leur peau.
Je suis parti quand même. Loin d'être à feu et à sang, le pays vivait tout de même certaines tensions. Je me suis bien pris un peu de gaz lacrymogène après m'être aventuré trop près des zones à risque, mais je n'ai jamais senti ma sécurité en danger.
Plus tôt cette année, j'avais établi que Sarajevo méritait une visite pour le 100e anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Quelques semaines avant mon arrivée, des pluies torrentielles ont inondé les Balkans. C'était du sérieux. Des glissements de terrain importants sont survenus. Certains craignaient le déplacement de mines antipersonnel.
Il y avait peut-être une notion de danger, mais aussi une impression de déranger si jamais je m'envolais quand même. À Sarajevo, pourtant, on priait pour que les touristes respectent leur plan initial.
Cette fois-ci, j'ai opté pour le soleil et le sable du Maroc. C'était avant Ebola. C'était avant l'État islamique. C'était avant la psychose.
Au moment d'imprimer ces lignes, j'ai déjà touché terre à Casablanca depuis quelques jours. Je ne me suis pas empêché de partir.
À vrai dire, l'Ebola ne m'inquiète pas du tout. Dans les premières semaines de l'épidémie, tout le monde, moi y compris, a mis l'Afrique dans un seul et même panier. Il fallait voir, comprendre les conséquences de la maladie.
Des centaines de voyageurs ont annulé des périples sur le continent africain, même s'ils visaient dans certains cas des régions à des milliers de kilomètres de la zone touchée. Des safaris en Afrique du Sud et en Tanzanie, entre autres, ont été reportés.
On frémit souvent par ignorance. Parce qu'on a peur d'avoir peur aussi. L'Ebola est une maladie sérieuse, mais elle ne se transmet pas par la voie des airs. Aucune raison d'éviter le Maroc.
Voilà qui règle le cas de la contamination. Mais il reste qu'on m'a aussi parlé beaucoup de l'État islamique. Ses membres ne réservent pas nécessairement un sort enviable aux journalistes. Un touriste français a été enlevé et décapité dans le pays voisin, en Algérie.
Encore une fois, c'est mettre beaucoup de monde dans un même panier. J'ai bien sûr eu quelques discussions avec mon entourage pour me faire une tête. J'ai porté attention aux recommandations du gouvernement canadien. Un ami à peine rentré d'Afghanistan m'a même demandé de reconsidérer mon choix. À mes yeux à moi, le risque qu'il a pris me paraissait beaucoup plus grand que celui auquel il me demandait de renoncer.
Vrai qu'il existe des factions terroristes au Maroc. Nous avons toutefois eu la preuve que des extrémistes peuvent vivre partout. Depuis le 11 septembre 2001, tout le monde réalise le risque lié au voyage en avion. Et après? On part quand même.
Après, on réalise que le risque zéro n'existe pas, à la maison comme à l'étranger. Des attentats, des meurtres, il y en a eu à Londres, à Madrid, en Australie, aux États-Unis et bien sûr au Canada. Céder à la panique, à la psychose, à la peur, serait un tantinet irrationnel.
Il existe des risques calculés et j'accepte de les prendre.
Je refuse de renoncer à toutes ces découvertes, à toutes ces rencontres, à toutes ces aventures, pour des gens qui visent d'abord à semer la peur.
Ça ne veut pas dire de ne pas être prudent. Ça ne veut pas dire de ne pas écouter cet instinct qui nous dit parfois de ne pas insister. Ça ne veut pas dire de faire ses valises pour la Syrie ou l'Afghanistan. Ça veut dire de ne pas laisser les autres décider pour nous. Ça veut dire de faire confiance à la majorité d'êtres humains qui ne nous veulent que du bien.
Ça veut dire vivre au lieu de mourir un peu en craignant de mourir beaucoup.
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