Allez savoir pourquoi, le silence qui nous met mal à l’aise au milieu d’une conversation nous est tout à coup précieux dans les moyens de transport comme l’avion, le train ou l’autobus. Si les longs trajets peuvent nous permettre de nous reposer, c’est moins évident en présence d’un ronfleur qui produit le même son qu’une moissonneuse-batteuse ou d’un « troupeau » de bébés qui pleurent en canon pour souligner leur ennui.On découvre aussi assez rapidement qu’on déteste les comédies musicales aux allures de karaoké qu’on diffuse dans les autobus en Asie du Sud-Est. Au Cambodge et en Thaïlande, notamment, les autobus spacieux sont munis de deux écrans de télévision. On y présente des espèces de vidéoclips qui ont tous la même histoire, sous-titrés des paroles des chansons. Ce ne serait pas agréable, évidemment, si le volume ne menaçait pas de défoncer les haut-parleurs pour chaque note de cymbalettes. Bonne nuit!
Les pauvres touristes au sommeil léger pourraient aussi peiner dans plusieurs villes de la Chine ou de l'Inde où les chiens se livrent à des concours d'aboiement une fois la lune sortie. Aux élucubrations canines s'ajoutent les klaxons, qu'on ne range pas même s'il fait nuit, le moteur des mobylettes et les clochettes de vélos. Le mariage du prince, à Udaipur en Inde, nous a par ailleurs permis d'apprécier une démonstration vocale qui a résonné dans la ville toute la nuit.
À Pékin, on cherche le silence, et une bulle corporelle, au bout de trois ou quatre jours. Ça vient tout juste après l'air pur dans les besoins qu'on satisfera difficilement. La cacophonie est omniprésente. Les discussions se font souvent en projetant bien la voix. On aura beau porter les bouchons que tout bon voyageur transporte avec lui, y aura toujours une nuisance ou deux qui se frayera un chemin.
On pratique donc la résilience et on prend de grandes respirations, ce qui, malheureusement, ne porte pas particulièrement ses fruits. À chacun son truc pour conserver une certaine paix d'esprit. En ce qui me concerne, j'avais trouvé la pièce « télé » de mon auberge de jeunesse. On y accédait en pénétrant dans la cuisine, réservée aux employés, et on grimpait un escalier.
Étrange de consacrer un espace aux touristes quand ceux-ci doivent traverser une pièce où ils n'ont techniquement pas le droit d'entrer.
Cette petite pièce, remplie de coussins, était munie d'un écran géant. Elle était si peu fréquentée que les employés en éteignaient la lumière par réflexe quand ils s'apercevaient qu'elle était allumée... même si on se trouvait à l'étage.
Assis dans une mer de coussins, on entendait parfaitement la rue qui s'exprimait bruyamment de l'autre côté du mur. À défaut du silence, on couvrait le bruit par du bruit pour éviter de perdre la tête. À défaut du silence, la plus grande paix que j'ai pu trouver provenait de la musique d'un iPod, musique qui s'écoutait à tue-tête.
La vraie paix, on la trouve toutefois dans des endroits déserts de la planète. Dans les routes de campagne de la Cappadoce, en Turquie, où je me suis perdu en mobylette, il n'y avait que le moteur de ma monture, le vent et le bruit des oiseaux pour occuper le temps. Dans le désert de Wadi Rum, en Jordanie, j'ai pu écouter le silence des étoiles toute une nuit durant.
Mais ce silence, le vrai, celui qu'on ne connaît pas parce qu'il est trop rare, on le trouve où le vent et les oiseaux ne vont pas. Dans la vallée de la Mort, en Californie, il n'y a rien comme lancer la journée à Artist's Palette, avant que les autobus de touristes ne débarquent.
Le lieu tire son nom de la coloration du roc, qui passe du rose au violet, et qu'on apprécie davantage tôt le matin ou tout juste avant le coucher du soleil. Seul au milieu des rochers, j'ai mis un instant avant de reconnaître le silence. Qu'est-ce qu'on fait quand il n'y a plus un son? On ouvre grands les yeux, on respire un grand coup et on sourit.
Enfin, les oreilles nous saignent quand on entend des touristes arriver, se précipiter en s'amusant du son de leur voix qui tue la sainte paix. C'est le temps de remballer ses pénates...
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