Il y a les histoires d’un soir qui se concoctent autour d’un verre, d’autres qui deviennent des histoires d’un soir parce que le jour se prolonge sans vouloir s’arrêter. On dit parfois qu’il faut célébrer la nuit comme si demain n’allait jamais se lever. Quand on visite une ville pour un temps limité, qu’on a sur notre route des gens qui ne se lèveront de leur lit que pour repartir vers d’autres contrées, on saisit le moment présent.
Il y a quelque chose d'un peu hippie, de hipster peut-être, à vouloir procrastiner le repos en disant qu'on profite des chances qui ne se représenteront pas. Carpe diem! Ça aussi, ça fait hautain. Regardez l'autre qui sort ses mots latins. Mais si on veut arrêter d'avoir mal, si on veut rayer le mot regretter de sa liste de choses à faire chaque jour en voyage, ça devient un mode de vie. On suit le plaisir là où il nous entraîne. Au diable les cernes et le temps qui passe.
J'ai un ami que j'ai rencontré au début de l'été au cours de mon voyage en Bosnie-Herzégovine. Lui, il disait qu'il faut tirer le maximum des gens pendant qu'ils sont là. On se le répète jour après jour en se sentant coupable de ne pas visiter notre famille qui vit à deux coins de rue. On fait un effort un tantinet plus convaincu quand l'avenir ne fait aucune promesse qu'on reverra ces amis instantanés...
Avec cet ami, donc, c'est ce que nous avons fait. Nous avons mis de côté les plans et nous avons fait un pied de nez au soleil qui menaçait de se lever avant que nous ayons même fermé un oeil.
Nous sommes tombés l'un sur l'autre à Mostar, petite ville de Bosnie reconnue pour son pont de pierre en arche inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Là, il y a le pont et (presque) rien d'autre. Je m'étais offert l'aller-retour dans la même journée à partir de Sarajevo, aller simple en poche pour plus de flexibilité. Il me fallait avoir décollé de là avant la pénombre, puisque le dernier train pour la capitale faisait son lit bien tôt.
Bref, j'ai déniché cet ami sur le parvis d'une église que j'avais trouvée en cherchant autre chose que le pont. C'était de loin la deuxième attraction de la ville. Ou la troisième. Nous butant à des portes verrouillées, nous avons commencé à échanger pour meubler le temps. Il avait étudié le journalisme. Il partait pour Sarajevo avec le train de 19 h.
En cinq minutes nous avions convenu de monter sur les rails ensemble. Puisqu'on ne sort que rarement le journaliste du voyageur, les sujets de conversation n'ont pas manqué. Question. Réponse. Question. Réponse.
Le train ne s'est pas épuisé à l'ouvrage, s'est pointé à Sarajevo plus tard que prévu, mais assez tôt pour que nous constations que les bars de la vieille ville n'étaient pas légion. Et ceux qui y ont pignon sur rue ne nous attiraient pas.
Autrement, la vieille ville, coeur touristique de la capitale, a ce je-ne-sais-quoi de très calme quand la noirceur s'installe. On parcourt ses rues désertes et on redécouvre l'architecture. On sent presque l'histoire enfermée dans ce pavé que les citadins cessent momentanément de fouler.
À défaut des boîtes de nuit, nous avons longé la rivière Miljacka jusqu'au pont situé devant l'Académie des beaux-arts. Ce pont, qui effectue une boucle complète de 360 degrés, m'obsédait par sa modernité.
Nous nous y sommes calés, sur ses bancs cylindriques, pour observer la faune de nuit tout en poursuivant notre valse de questions et de réponses. Il y a eu les chiens errants. Il y a eu un groupe un tantinet trop imbibé qui souhaitait pratiquer l'art de l'autoportrait avec nous. Il y a eu une voiture toutes les 40 minutes...
Il y a eu un couple qui titubait sur le trottoir en scandant des obscénités que l'alcool leur inspirait. Il y a eu ce même couple qui nous a rattrapés en voiture, nous offrant de nous raccompagner à bon port. Non merci!
Une douzaine d'heures plus tard, nous allions chacun notre chemin...
Des nuits comme celle-là, il y a en eu bien d'autres. Assez pour que je rentre au boulot, après deux semaines à l'étranger, pas tout à fait assez reposé pour me rappeler le mot de passe du système informatique. Assez pour que je ne sois pas tenté de regretter.
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