Apologie du voyage solo

Parce que les autres ne m'attendront jamais pour être heureux, je voyage seul à la recherche d'une histoire qui n'appartient qu'à moi.

Ha, l’air qu’ils ont, les gens, quand ils constatent que je voyage en solo. Il s’en trouve pour ramasser leur dentier au troisième sous-sol, la mâchoire disloquée, interloqués qu’ils sont de penser qu’on puisse s’envoler sans la douce sécurité d’un partenaire de bamboche.


Pourquoi? Comment? Comme si la vie au pluriel devait être la norme. Comme si, n’importe où dans ce monde, on risquait vraiment de se retrouver seul à un moment ou à un autre. Tout autour, il y aura toujours des gens. Alors pourquoi en trimballer encore plus avec moi alors qu’il y en aura déjà tout plein là où j’irai?Elle me fascine cette obsession de devoir toujours tout partager. Il y a ceux qui sont même incapables de visiter des toilettes publiques par eux-mêmes, attendant toujours que quelqu’un d’autre propose un aller-retour vers la salle de bain. Je ne suis pas de ceux-là. Je refuse de céder à la peur, à la pression sociale, à cette illusion que deux cerveaux valent toujours mieux qu’un seul.

J'étais de ceux qui craignaient de partir par moi-même. Prendre l'avion tout seul, sans personne pour se divertir, oulala! Ne pouvoir compter que sur soi pour traduire une langue étrangère, choisir soi-même l'endroit où on passera la nuit... ça m'effrayait un peu.

Mais au bout du compte, ces petites peurs se transforment en petites victoires. On se découvre plus fort qu'on le croyait. Plus débrouillard et plus sociable, aussi. À se mettre en danger, on puise dans des ressources inestimées.

Quand je voyage seul, personne ne peut transporter mon bagage lorsqu'il devient trop lourd. Personne pour partager le coût d'un taxi ou pour me signaler que je fais fausse route. Je deviens vigilant. Je contrevérifie. Je fais contre mauvaise fortune bon coeur et j'accepte de m'égarer pour explorer davantage.

Le voyage solo, c'est exit les compromis. C'est détester les musées sans avoir besoin de s'expliquer. C'est passer deux heures à contempler une rivière, parce que le courant infatigable nous fascine, sans quelqu'un qui nous tire la manche pour ne pas rater la plus récente exposition de Duchamp.

Le voyage solo, c'est rester au lit un matin de petite faiblesse sans se sentir coupable de l'imposer à autrui. C'est refuser de socialiser quand on s'improvise ermite. C'est manger quand on veut, où on veut, sans céder aux caprices d'une fine gueule.

Le voyage en solo, c'est s'ouvrir à l'autre. Il est beaucoup moins intimidant pour un inconnu de s'adresser à nous quand nous sommes esseulés. Moi, je n'aborde pas les couples qui se dévorent des yeux dans les auberges de jeunesse. Je ne m'intègre pas non plus à une fraternité de cinq étrangers qui rient à en fendre les murs.

À deux, quatre ou mille, l'horaire nous presse toujours un brin. Untel a faim, l'autre se mêle un peu moins aux conversations parce qu'il ne comprend pas l'anglais.

J'angoisse un peu à tourner en rond, quand il n'y a personne à qui passer le flambeau après avoir arpenté pour la cinquième fois une satanée rue sans trouver l'adresse que j'avais notée. J'ai dû intérioriser les grands bonheurs, que je ne pourrai jamais raconter à la hauteur de ce qu'ils étaient vraiment, parce qu'il n'y avait personne, juste là, pour partager le moment présent. J'ai dû accepter que mes souvenirs n'appartiendraient à personne d'autre. J'ai compris que les vraies joies, de toute façon, ne viennent jamais vraiment des autres.

Au lieu de prêter le flanc aux empêcheurs de tourner en rond, d'attendre que le vent souffle dans la bonne direction pour qu'il nous pousse, à plusieurs, dans la même direction en même temps, j'ai fait mon baluchon comme un grand. J'ai pris mes décisions, je suis parti, et j'ai vécu ce que j'avais à vivre. Parce que les autres, dans le fond, ils ne m'attendront jamais pour être heureux. Ils me laisseront derrière quand ils seront las d'attendre, prendront à gauche même si je jure d'aller à droite.

Une quarantaine de pays après mon premier départ solo, je constate que je n'ai jamais vraiment été seul. J'ai des centaines de nouveaux amis, j'ai exploré la Chine, l'Inde, le Brésil à mon propre rythme. J'ai écrit des aventures en vivant ma solitude quand j'en avais envie. Devant les ennuis, il y avait pourtant toujours quelqu'un pour m'accompagner.

Le voyage solo, c'est partager le monde. C'est se transplanter dans un autre univers, sans trimballer tout son bagage d'a priori.

C'est donc sans surprise que je me lance à nouveau seul, dès ce week-end, pour explorer les rues de Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. I'm a «poor» lonesome cowboy...

Suivez mes aventures au www.montourduglobe.com