Rage paranoïaque

Ayutthaya, en Thaïlande

Vietnam, printemps 2012. Au milieu des rizières d’un village à flanc de montagne, un groupe d’une dizaine de voyageurs fait connaissance en attendant que la nuit tombe. Parmi les histoires qui brisent le silence se terrant souvent au milieu de nulle part, celle racontée par une infirmière allemande.


<p>Lopburi</p>

Lopburi

(La Nouvelle, Jonathan Custeau/La Nouvelle, Jonathan Custeau)

Un de ses compatriotes s’était aventuré dans une grotte vietnamienne. Une flopée de chauves-souris s’était envolée. Le touriste, éraflé par une des bestioles, avait succombé à la rage quelques jours plus tard. Frayeur contrôlée!

J'étais tout à coup un peu déçu d'avoir refusé le vaccin contre la rage, faute de temps, avant de prendre la poudre d'escampette. Le Vietnam et la poignée de pays qui suivraient, dans mon itinéraire, annonçaient une kyrielle de chiens errants, de singes menaçants et d'autres animaux sauvages pouvant transmettre ladite maladie. Le risque devenait réel.

La prudence à l'excès faisant partie de mon mode vie, je n'arrivais néanmoins pas à me sentir pleinement en confiance. La crainte s'est matérialisée environ un mois plus tard, en Thaïlande, à Ayutthaya, une destination prisée pour ses temples inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Ses rues, sales, sont plutôt calmes. S'y côtoient des éléphants domestiqués, des voitures et des tuk-tuks trimballant des touristes d'un site à l'autre. Surtout, on croise des dizaines de chiens errants. Ceux-là, ils ne sont pas pimpants de santé.

Les cabots se grattent souvent à l'infini, arborent des plaies sanguinolentes, ont de larges plaques où leur fourrure ne pousse plus. Là, pas question de caresser les gentils toutous.

Il y a donc de très bonnes raisons de se sentir menacé quand, une fois la nuit tombée, on décide de rentrer à pied dans les rues désertes de la ville. À Ayutthaya, ce ne sont pas les voleurs que je redoutais, mais bien ces animaux qui réclament leur territoire quand la lune fait son apparition.

Longeant un boulevard complètement désert, j'ai été surpris par un de ces chiens qui, toutes dents dehors, s'est rué vers moi en aboyant. Ça ne ressemblait pas à un avertissement. Je sentais déjà la morsure, me voyais déjà en route pour l'hôpital. Au moindre risque d'infection par la rage, le temps de réaction est relativement court pour enrayer la maladie.

J'étais prêt à lui flanquer un bon coup de Lonely Planet entre les deux yeux, à ce chien, et à déguerpir les jambes à mon cou. Le livre que je transportais dans mon sac était particulièrement volumineux, mais n'aurait probablement pas suffi.

Légère panique. J'ai traversé le boulevard sans regarder s'il y avait le moindre signe de circulation automobile. M'éloigner à toute vitesse a semblé convenir au chien méchant, qui n'a pas insisté davantage. Un tantinet nerveux, je suis entré en marchant au centre de la route, question de voir venir les coups.

La même frousse m'est revenue le lendemain, dans le village de Lopburi, célèbre pour sa population impressionnante de singes. Une énorme statue de primate nous accueille d'ailleurs à la gare de l'endroit.

À un jet de pierre des rails, un temple a été complètement abandonné aux macaques. C'est là le principal attrait touristique. Mais attention! Les singes ont des tendances cleptomanes. Pour votre nourriture, vos lunettes de soleil, votre chapeau, ils deviendront violents.

Tellement que deux préposés au lance-pierre s'assurent de la sécurité des touristes. Il suffit de faire claquer l'élastique pour que les macaques effrayés lâchent prise.

J'ai eu la mauvaise idée de m'éloigner du groupe. De me retourner pour immortaliser le village sous un angle différent. Il n'en fallait pas plus pour qu'un singe adulte me saute dans le dos. Grognant, m'offrant une vue imprenable sur ses canines, il n'avait pas l'intention de me rendre ma pleine liberté.

Je ne voyais pas comment je pourrais le convaincre de déguerpir. Petite pensée pour le vaccin contre la rage que je n'avais pas reçu. C'est fou comme le claquement d'un élastique peut devenir libérateur.

Après cet épisode, je suis demeuré à distance respectable de tout chien ou tout singe qui pouvait croiser mon chemin. Et j'ai pris rendez-vous pour un vaccin dès mon retour à la maison.

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