Une question de conventions

Une des coutumes répandues, à l'approche des temples, est de se laver les mains et la bouche pour se purifier. On utilise ces cuillères et l'eau des puits aménagés à cet effet.

La scène se déroule à Montréal ou à Québec. Un touriste asiatique, l’appareil photo autour du cou, enligne son viseur vers la borne-fontaine. Il se retourne, appuie sur le déclencheur pour immortaliser le parcomètre. Deux instants plus tard, il réserve le même sort à la cabine téléphonique.


Nous, on est là à juger et à fixer cet « hurluberlu » comme si le père Noël venait de débarquer place d’Youville. On est ancrés dans notre quotidien, nos habitudes, nos conventions, et on comprend mal qu’un étranger puisse s’intéresser à quelque chose d’aussi banal.Sauf qu’on est les premiers à s’enfermer dans les fameuses cabines téléphoniques rouges à Londres ou à immortaliser les stationnements personnels à deux étages en Asie. J’ai bien quelques photos de toilettes étranges ou ingénieuses, aussi, ou de la fameuse distributrice de bons de commande dans les restaurants japonais.

Mine de rien, quand on s'exile, on est happé par des milliers de renseignements à la fois. Il y a ceux qu'on intègre, qu'on comprend, et ceux qui nous passent sous le nez et qu'on découvre un peu malgré nous.

Le Japon était effectivement un bon endroit pour tenter de s'habituer aux conventions. Débarquant à peine d'une Chine où cracher au le sol en pleine rue est monnaie courante, je découvrais que les poubelles publiques étaient loin d'être omniprésentes partout. Il faut transporter ses déchets et en disposer chez soi, la plupart du temps.

Idem pour le métro, pour lequel je m'étais musclé les coudes à Pékin, question de protéger ma petite bulle d'air. M'apprêtant à « rentrer dans le tas » afin de m'assurer une place dans le convoi, j'ai appris dès le premier jour que les Japonais faisaient sagement la file pour monter à bord. Du même coup, ils éteignent leur cellulaire pour ne pas déranger leurs voisins. Et s'ils veulent entretenir une discussion dans le wagon? Ils chuchotent.

Y a donc que les touristes malpolis qui, trop occupés à jouer les pies, ne se rendent pas compte qu'ils ternissent un silence sacré. Ceux-là, quand ils sont des hommes, pourraient aussi s'attirer des regards désapprobateurs si, par manque d'attention, ils se glissaient dans un wagon réservé aux femmes.

Ces mêmes touristes ont beau enlever leurs chaussures chaque fois qu'ils entrent chez eux ou chez un invité, ils n'auront probablement pas le réflexe de le faire partout où ça compte au Japon. À l'entrée des temples, par exemple, l'étranger se surprendra peut-être de voir des étagères remplies de chaussures. On prend une photo, bien sûr, mais on en prend l'habitude et on se surprend que d'autres sortent leur appareil pour si peu.

Une amie japonaise m'avait d'ailleurs expliqué tous les rituels entourant la prière, m'expliquant qu'il fallait, avant d'entrer au temple, se laver les mains et la bouche à une fontaine située près de l'entrée...

On peut créer tout un tabac, aussi, dans les bains publics, appelés onsen, utilisés par certains parce qu'ils n'ont pas de douches à la maison, par d'autres comme des spas où il fait bon se rassembler. Les Japonais adorent passer du temps dans un onsen. Et même si on a lu sur la question avant de s'y présenter, il y a fort à parier qu'on commettra une tonne d'impairs quand même.

Quand doit-on retirer les chaussures? Comment respecter toutes les règles d'hygiène et de pudeur sans se tromper? À vouloir bien faire, on fera un fou de soi à coup sûr. Il n'y a qu'à observer les autres et à faire comme eux, me direz-vous? À moins que ce ne soit là transgresser une règle tacite de pudeur qui « interdit » d'observer autrui.

Bien sûr, au Japon comme à bien d'autres endroits, la façon de consommer la nourriture exige parfois qu'on se creuse le ciboulot. Cette machine distributrice, à laquelle je faisais allusion, est située à l'entrée des restaurants. On choisit tout ce qu'on veut manger, on insère la somme indiquée sur l'écran lumineux et on obtient un reçu en échange. On remet ensuite ce reçu au serveur, qui revient aussitôt avec notre repas.

Oui, on a l'air un peu fou à vouloir commander au comptoir quand le serveur dodeline du bonnet en riant, cherchant à nous faire comprendre notre erreur. Encore plus si on choisit sa table et qu'on attend qu'on nous apporte un menu. Et oui, ce menu, sur la machine distributrice, il est rédigé... en japonais.

J'étais donc on ne peut plus heureux de me trouver avec une tokyoïte quand on m'a annoncé que, pour goûter mes premiers okonomiyakis, ces espèces de crêpes japonaises, il faudrait que je les fasse cuire moi-même... À vouloir adopter des conventions qu'on maîtrise mal, on vogue forcément de surprise en surprise.

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