Un témoin de leur histoire

C'est à Pékin, où je me suis attardé longtemps, que j'ai été témoin de tranches de vie passionnantes.

Il arrive qu’on soit assis là. Qu’on vive le moment présent sans réaliser qu’on devient le témoin d’une histoire qui a commencé avant nous et qui se poursuivra après nous. Comme s’il s’agissait d’un film. Comme un film dans lequel on aurait le privilège de connaître les acteurs, de pouvoir interagir avec eux.


Il y a bien sûr l’histoire au sens large, celle qui s’écrit à coups de guerres, d’élections, de traités de paix. On a la chance ou la malchance d’être là quand ça se trame, point. Comme lors de ces vacances en Turquie, planifiées bien avant qu’éclatent les manifestations de la place Taksim l’été dernier. On constate la colère des gens. On se prend un peu de gaz lacrymogène en pleine gueule. Mais le combat continue après nous.L’histoire s’écrit toujours en Turquie, sans scénario.

Il y a aussi l'histoire des gens. Celle qu'on influence au fil des rencontres, dans laquelle on s'inscrit de gré ou de force, parce que le hasard nous a fait nous croiser ne serait-ce qu'une seconde. Il y a celle qu'on continue de voir défiler sans nous, à distance, mais qui s'écrit inlassablement, sans fautes.

La Chine, par exemple, m'a assigné le rôle de témoin. D'abord dans la vie d'un couple islandais. Birgir et Unnur voyageraient le monde pour quatre mois. Pékin était leur premier arrêt. La chambre que nous partagions à l'auberge de jeunesse était la première de leur périple. Même s'ils avaient chacun leur lit, les amoureux s'entassaient chaque nuit dans un des lits simples superposés, pour être ensemble, collés.

Entre vous et moi, et parce qu'ils ne savent pas (encore) lire le français, je ne croyais pas qu'ils y arriveraient. Quatre mois de galère, à voir leur tronche déconstruite par le décalage horaire, je ne voyais pas comment... Mea culpa, j'ai douté.

Birgir et Unnur sont pourtant les amis les plus adorables et sans malice que j'aie pu rencontrer. Leur bonheur pue à des fuseaux horaires à la ronde. Parce qu'on est jaloux. Mais je me disais que les longs voyages mettent à l'épreuve même les couples les plus solides.

Ils ont bougé vite, les Islandais. Ils avaient tout planifié, acheté tous les billets d'avion à l'avance, si bien qu'il était plus facile de les suivre par la magie du web que d'essayer de se rappeler où ils allaient ensuite. Pendant que j'explorais l'Europe, sur mon écran, j'ai constaté que Birgir avait demandé la main de sa belle au Pérou, au Machu Picchu. Elle avait dit oui.

Leur amour a survécu aux embûches du voyage. Récemment, Facebook me permettait de faire connaissance avec un nouveau membre de leur famille. Deux ans après avoir échangé mes premiers mots avec mes nouveaux amis, j'étais témoin de toute leur fierté d'accueillir un fils.

Une histoire banale? Pourtant, à Pékin, dans la même semaine, j'avais croisé trois autres couples qui faisaient vie commune sur la route. Aujourd'hui, ils vont chacun leur chemin... en solo.

La veille de mon départ de la Chine, alors que je cassais la croûte avec Birgir et Unnur, une voix m'a interpellé. Une jeune femme s'enthousiasmait de me revoir. Trou de mémoire par-dessus trou de mémoire, je ne la replaçais pas. Je rembobinais les derniers mois sans succès.

« You don't remember me? We slept together in Shanghai! », qu'elle lance.

Ma-laise! Malaise autour de la table. Mais ce n'est pas ce que vous pensez, je vous rassure. Ce n'est pas ce que tout le monde a pensé, d'ailleurs.

Quand tout le monde interagit dans sa deuxième langue, les quiproquos sont rois. Cette jeune femme, je l'avais effectivement rencontrée dans une auberge de Shanghai. Nous partagions la même chambre, mais pas le même lit. C'est ce qu'elle voulait dire.

Ensemble, nous avions fait le trajet en train, vers Hangzhou, où elle rejoindrait un Anglais lui aussi de passage en Chine. Un garçon qu'elle connaissait à peine. Je l'avais laissée à ses bons soins, à la gare, ne m'attendant pas à la revoir un jour.

Le hasard nous a replacés dans la même salle à manger, à Pékin. Un an plus tard, de retour dans son Israël natal, la jeune femme a marié son Anglais. Elle file elle aussi le parfait bonheur.

Parfois, la réalité dépasse la fiction...

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