L’autre visage du Cambodge

Les mines qu'on retrouve dans le musée d'Aki Ra ne sont que quelques spécimens de toutes celles qu'il a désamorcées.

Le Cambodge! Partout où j’allais, ceux qui avaient erré plus que moi sur notre grande-petite planète étaient quasi unanimes. Ce petit pays d’Asie du Sud-Est, il fallait absolument le visiter. Impossible toutefois de dire pourquoi. Un simple «parce que» suffisait.


Une fois qu’on y est allé, ça devient une évidence. Parce que. Tout simplement. Parce que c’est le Cambodge.Je n’avais de plans que pour Angkor Wat, ce complexe de temples tellement populaire qu’il orne le drapeau du pays. Visiter Angkor Wat, à Siem Reap, c’est comme plonger dans un autre monde, dans un autre temps. Un incontournable.

Mais au-delà des paysages enchanteurs, de la végétation luxuriante qui règne encore, le vent est rempli de murmures terribles. L'Histoire, celle qui s'écrit avec un grand H, n'a pas été tendre avec ce petit pays pourtant si charmant. Son passé pas très lointain laisse encore des traces dans l'imaginaire collectif d'un peuple qui, à plusieurs égards, panse encore ses plaies.

Pourtant, dans nos pays occidentaux, on ne parle pas autant des Khmers rouges qu'on parle des SS de l'Allemagne ou de Pol Pot autant que de ces autres leaders qui ont semé la mort en même temps qu'ils étanchaient leur soif de pouvoir.

On sait pourtant, quand on débarque au Cambodge, qu'il faut éviter de s'éloigner des sentiers battus. Tant pis pour les explorateurs du dimanche qui ne suivent ni chemin ni règlement. Là, partout, restent encore des mines antipersonnel enfouies il y a un peu plus de 30 ans.

C'est d'ailleurs en m'intéressant au sujet que je me suis rendu au petit musée des mines antipersonnel, une exposition de fortune au milieu de nulle part. On l'atteint à vitesse petit V, à l'arrière d'un tuk-tuk chancelant sur des routes cabossées. À gauche, à droite, de la verdure et des maisonnettes de bois éparpillées.

À l'intérieur du musée, à peine de la dimension d'un appartement moyen de nos grandes villes, trône une grande cage vitrée dans laquelle sont empilées des milliers de mines désamorcées. Sur le mur, les plus récentes actualités sur le sujet.

À peine quelques semaines avant mon passage, un fermier et ses deux fils avaient mis le pied là où il ne le fallait pas, sur leur propre terre. Ils s'y rendaient pourtant régulièrement sans croire au moindre danger. L'hypothèse d'une pluie qui avait ramolli le sol et fait remonter l'engin vers la surface était retenue. Morts. Tous les trois.

Le tenancier du musée, Aki Ra, s'y connaît bien. La plus intéressante découverte, c'est lui. Orphelin, il est devenu enfant soldat en bas âge. Envoyé combattre les Vietcongs, il aurait été capturé. Il aurait donc été formé pour s'opposer aux Khmers rouges.

En réalisant les dommages qu'il causait à son peuple, Aki Ra s'est repenti. Il a commencé son travail de déminage à l'aide d'un couteau et d'un bâton. Rien qui ressemble à l'attirail des équipes professionnelles de démineurs.

Si j'ai bien compris le témoignage, il enfonce son bâton dans le sol en formant un angle aigu pour éviter la détonation. Il déterrerait ensuite la mine pour la transporter à un endroit où il peut la neutraliser.

On racontait que sa méthode était loin de faire l'unanimité chez les professionnels. Mais Aki Ra s'en fiche. Il n'a pas l'intention d'arrêter. Et il n'est arrivé aucun incident fâcheux depuis qu'il a commencé à retirer des milliers de mines antipersonnel du sol cambodgien.

Derrière le musée, dans une section où les touristes ne sont pas admis, se trouve la maison d'Aki Ra. Il y vit avec une poignée de jeunes, blessés ou sans famille, qu'il a recueillis pour leur donner une deuxième chance.

Bien qu'on fasse rapidement le tour de la petite exposition, on réalise le détour en valait la chandelle. Si je n'ai pu rencontrer l'homme en personne, je l'ai entraperçu à travers une fenêtre alors qu'il s'apprêtait à quitter son repère. Même si je venais à peine de découvrir son existence, je savais d'ores et déjà qu'il en imposait par sa présence bien plus que n'importe quelle rock star.

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