Sur la piste des Incas

S’il y a une image universelle du Pérou, c’est bien celle du Machu Picchu. Cette cité inca du 15e siècle, bâtie au coeur des Andes, fascine les touristes de partout. Ils sont d’ailleurs des milliers, chaque jour, à la visiter dès que le soleil fait son apparition.


La cité du Machu Picchu, sous le soleil, constitue une récompense inégalable après quatre jours sur les sentiers.

Les autobus remplis arrivent d’Aguas Calientes, une ville construite de toutes pièces pour l’industrie touristique. Les étrangers affluent souvent en train à partir de Cusco avant de grimper en transport en commun jusqu’à l’entrée du populaire site.Il y a ces autres, dont je suis, qui ont choisi de s’y rendre à pied, de traverser une partie des Andes avec la seule force de leurs jambes, de manière à rendre la découverte encore plus grandiose. De la variété de treks offerts pour atteindre la fameuse cité, le sentier des Incas est le plus mythique. Puisqu’un nombre limité de 200 touristes y sont admis chaque jour, il importe de réserver longtemps d’avance.

La randonnée prend quatre jours. Quatre jours pour franchir tout près de 45 kilomètres. Les uns brandiront leur temps de marathon pour crier à la facilité. Foutaise! L'objectif n'est pas particulièrement de réaliser un temps record, mais bien de se retrouver dans un monde sans voiture, sans technologie, pour traverser des forêts tropicales, de la toundra et des ruines datant de plusieurs centaines d'années.

Cette quarantaine de kilomètres, que nous avons parcourus en quatre jours, ou en une quinzaine d'heures de marche, il est vrai que d'autres les dévorent à une vitesse folle. Les porteurs, qui ont la tâche ingrate de transporter les tentes et le matériel de cuisine qui nous seront utiles, ont l'habitude de l'altitude et des chemins de pierre. Chaque année, une course leur permet de montrer leurs capacités. Le record serait de 3 h 34 minutes. C'est précisément le temps qu'il nous a fallu pour atteindre le lieu du dîner... la première journée.

Nous avons rapidement compris que nous ne saurions tenir le rythme des porteurs. À une vitesse folle, ils nous dépassaient et disparaissaient à l'horizon. À notre arrivée aux camps, les tentes étaient toujours bien installées, les repas prêts à être servis.

La première journée, le groupe est demeuré groupé sur une piste à faible dénivelé. Un entraînement avant le vrai défi, s'amusait notre guide. Déjà, les ruines en contrebas, les sommets qui s'élèvent à perte de vue, les ruisseaux dans lesquels s'abreuvent les chevaux, mettaient la table pour une quête inoubliable.

Rapidement, nous avons également pris la mesure des talents du cuistot. C'est que toute la nourriture que nous devions consommer doit être transportée dès le premier jour... Avec des moyens limités, ce cuisinier, réellement diplômé d'un cours de cuisine, parvient à préparer un repas complet trois fois par jour. Au milieu des montagnes, il réussit même à cuire un gâteau, sans moule ni fourneau.

La deuxième journée s'annonçait plus difficile. Au menu, une douzaine de kilomètres, dont huit en pleine montée vers le point le plus élevé du trajet. Les 13 kg que je m'étais accrochés au dos, à défaut d'avoir embauché un porteur, me pesaient déjà.

Les escaliers de pierre ont amorcé l'échauffement. En levant la tête, nous apercevions deux sommets à l'horizon... et un passage, tellement loin. Difficile de croire que c'est là que nous nous dirigions. À mettre un pied devant l'autre, à grignoter les mètres d'altitude comme l'oxygène qui se raréfiait, nous voyions le camp, tout en bas, rétrécir à vue d'oeil. Nous voyions, tout en haut, de minuscules silhouettes qui célébraient déjà la conquête des 4200 mètres. Les chanceux!

Sur le sentier des Incas, néanmoins, c'est la beauté du panorama qui nous poussait en avant. Étrangement, la cible ne grossissait pas particulièrement vite malgré le temps passé à tenter de nous en approcher. Alors que des membres de notre convoi avaient déjà atteint le camp, nous avons senti le vent nous happer pour nous accueillir au sommet. L'immensité à 360 degrés.

Et on redescend. Pendant quatre kilomètres. À savoir que demain il faudra grimper encore. Notre tente bien ancrée au campement donnait sur une vallée. Les nuages voyageaient en bas, peignaient un paysage surréel au milieu de nulle part.

Après l'incroyable ascension, nous croyions que rien ne saurait nous surprendre. Pourtant, la troisième journée, moins exigeante, nous a prouvé le contraire. Perchés sur des sentiers étroits à flanc de falaise, à traverser des tunnels de pierre ou à grimper des ruines mythiques, nous avons emmagasiné plus de souvenirs inégalables qu'il n'existe de mots pour les décrire. Le plus performant des appareils photo ne saurait traduire la majesté du sentier.

Et il y a cette dernière journée, où le coq a chanté à 3 h du matin. En attendant l'ouverture des barrières au point de contrôle, nous avons joué au tricheur, paquet de cartes à la main, en dansant pour nous réchauffer. Nous nous sommes élancés dès que possible sur le sentier pour atteindre la porte du soleil avant que ce soleil, justement, ne frappe de plein fouet la cité du Machu Picchu.

Fatigués, crasseux, toujours le même poids sur le dos, nous avons laissé un sentiment d'accomplissement nous gagner. Chacun des pas subséquents vers la plus célèbre attraction du Pérou accrochait un sourire encore plus grand sur nos visages satisfaits. Nous toisions les touristes propres, visiblement reposés, qui débarquaient à peine du bus d'Aguas Calientes. Un instant, nous les avons jugés d'avoir opté pour la facilité. Notre billet d'entrée au Machu Picchu, nous l'avions mérité.

Après une heure à explorer les ruines, nous nous sommes assis dans l'herbe. Nous étions là. Nous avons laissé passer le moment présent, sans bouger, sans broncher. Nous avions conquis le sentier des Incas.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com