Confidences sur l’oreiller

La place Mariacki, à Cracovie, s'est couverte de plumes pendant une bataille d'oreillers géante.

Il n’y a pas de hasards. Ou peut-être que si. Peut-être y a-t-il de ces coïncidences tellement grandes qu’on n’arrive pas à croire qu’elles peuvent être fortuites. Et pourtant! Pourtant, plus on parcourt le globe, plus on découvre à quel point ce monde est petit. Plus on parcourt le globe, plus on devient adepte de la théorie du battement de l’aile d’un papillon.


Les batailles d'oreillers ont aussi la cote à Hong Kong, où les participants avaient même revêtu leur pyjama.

La théorie du papillon, c’est celle que le battement des ailes d’un papillon à un bout de la planète peut provoquer un tsunami à des milliers de kilomètres de là.Il y a ces hasards qu’on personnalise. À mon premier voyage de l’autre côté de l’Atlantique, j’avais rencontré un Bulgare dans l’ascenseur d’une auberge de Paris. J’avais aussi croisé un Américain dans une auberge de Venise. Quelques jours plus tard, à moins d’une heure d’intervalle, sur la place Saint-Pierre à Rome, je suis tombé nez à nez avec ces deux voyageurs.

La même histoire, encore plus incroyable, m'a fait emprunter le même train qu'un couple français à Xi'an, en Chine. Le temps d'un bonjour. J'ai aperçu le duo par pur hasard dans les rues du village de Pingyao près de 24 heures plus tard. Puis, une autre journée avait passé quand, dans les dédales de tout Pékin, nous nous trouvions dans la même ruelle à la même heure. Impossible? Et que diriez-vous si ces mêmes amoureux, toujours sans préméditation aucune, se trouvaient au comptoir de mon auberge, le lendemain matin, pour réserver une chambre?

À force, on se dit qu'il y avait sûrement plus qu'une coïncidence.

Les hasards, ils sont porteurs de sourires ou de tracas quand ils se présentent sous la forme d'événements. Aboutir à Melbourne la fin de semaine du Grand Prix de Formule-1, sans avoir réservé de chambre d'hôtel, est un malheureux hasard qui nous souffle dans le dos pour qu'on prenne la poudre d'escampette.

Se montrer le bout du nez à Istanbul pendant les manifestations anti-Erdogan pouvait aussi bouleverser l'itinéraire.

Mais il y a cette fois, à Cracovie, où l'énergie dépensée pendant une longue journée à marcher m'est revenue d'un seul coup.

J'étais parti en randonnée tôt en matinée pour explorer le quartier juif. J'avais traversé toute la vieille ville, la Vistule aussi, pour gagner le quartier de Podgorze. Moins touristique que le château de Wavel ou le monument aux victimes de l'Holocauste, le mont Krak valait le détour.

Monticule plus qu'autre chose, il offre une vue imprenable sur le vieux secteur, le plus récent aussi, et la carrière du Liban, tout à côté, où meurent à l'abandon les décors du film La Liste de Schindler.

Les pieds en feu, je suis rentré lentement en me forçant à passer par la place Mariacki, place centrale comme toutes les grandes villes en ont une. Là, c'était la commotion. Le bruit! Une foule d'individus déambulaient oreiller dans les bras. En moins de deux, ils se sont mis à se taper dessus. Tous. Une immense bataille d'oreillers impromptue au milieu de laquelle j'avais atterri par hasard.

Les mains vides, je me suis tenu à l'écart pour voir les plumes voler. J'ai souri comme un gamin, oublié mes pieds qui me faisaient souffrir. J'ai vu la place Mariacki se couvrir de blanc, de bonne humeur, de franche camaraderie. Le temps s'était suspendu, comme si tout le monde se donnait le droit de retomber en enfance.

Je suis rentré plusieurs minutes plus tard, ai saisi les mots-clés pour une recherche Google et j'ai appris l'existence de la journée mondiale de la bataille d'oreillers...

Quelques années plus tard, affichant la même moue après une journée tout aussi longue, j'ai su ce qui se préparait quand des adultes en pyjama me doublaient dans les rues de Hong Kong, oreiller à la main.

Je les ai suivis, les ai vus se rassembler, et ai assisté à une seconde bataille en terre étrangère. Là, on trouvait beaucoup de costumes de Pikachu et de tenues à l'effigie de personnages de dessins animés.

Je suis rentré. À Google, j'ai demandé si la journée mondiale de la bataille d'oreillers se tenait également dans mon coin de pays.

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