Chronique|

Dompter Tongariro

Les paysages lunaires du mont Tongariro valent tout à fait les efforts consentis pour s'y aventurer, entre autres au gré d'une traversée de 19,4 kilomètres.

Les guides de voyageurs le qualifiaient de difficile, de dangereux même. Les blogues de voyageurs disaient qu'il ne fallait absolument pas manquer l'occasion d'y passer une journée, mais que la balade y serait éreintante. Le mont Tongariro, le mont Doom pour les amateurs du Seigneur des anneaux, est une fascination au coeur de l'île du Nord en Nouvelle-Zélande. Mais est-il bien sage de s'y aventurer?


Mon coeur balançait. Après tout, on ne se catapulte pas à l'autre bout de la planète pour rester emmitouflé dans ses couvertures ou pour se taper les plus longues promenades en voiture. On veut expérimenter, toucher, voir, sentir. On veut dire qu'on a vécu. Qu'on a pris le pouls d'un pays, d'un continent, là où son coeur bat vraiment.

J'ai sorti mon livret d'excuses: la pluie, c'est mal Le froid? C'est mal. Le décalage horaire? C'est mal. Mes pieds? Font mal! Parce qu'il est vrai qu'à se lancer sur les pentes de cet ancien volcan, sur un parcours de 19,4 km, le visiteur s'embarque pour une randonnée de plusieurs heures. Vaut mieux être préparé.

La raison a parlé. La bucket list aussi. Cette envie de vivre, pour une fois.

Le lendemain, j'avais réglé le cadran pour 4 h 45. Dans le dortoir complètement noir, j'ai enfilé plusieurs couches de vêtements. J'ai mis le nez dehors, suis rentré pour ajouter quelques couches. Après tout, à quelque 2000 mètres d'altitude, la brise risque d'être frisquette.

Dans la cuisine de l'auberge, les autres randonneurs apparaissaient discrètement, sur la pointe des pieds, comme des souris qui sortent en pleine nuit dans l'espoir de ne pas être aperçues. Quelques bouchées et puis s'en vont.

À 5 h 30, l'autobus s'ébranlait. J'ai entrepris la conversation avec une Américaine voyageant en solo. On dit qu'il ne faut pas grimper la montagne en solo. Elle avait bien lu les consignes, pas moi. Elle me rendait aussi service en me choisissant comme partenaire de route.

Le trajet durait plus d'une heure. Une heure avec ce sentiment qu'on s'apprêtait à sauter dans le vide, sans parachute. Étrange. Une heure à se répéter qu'il fallait atteindre le pied du volcan, de l'autre côté, avant que la dernière navette ne quitte, en fin de journée. Pas le temps d'abandonner. Pression!

Nous avons attaqué le sentier naïvement. Un pied devant l'autre jusqu'aux marches du Diable, un escalier interminable de marches beaucoup trop longues. Marche par marche pendant une heure, peut-être deux.

Les mollets et les cuisses sentaient bien chacun des pas jusqu'au sympathique panneau du «point de non-retour». Trop fatigué? Moins aventureux tout à coup? C'était la dernière chance de rebrousser chemin. Nous avons donc littéralement franchi le point de non-retour, sachant très bien que, découragement ou pas, nous n'avions plus le choix de terminer le parcours.

Nous avons atteint un premier cratère. Un décor lunaire nous enveloppait. Des pierres, des rochers, un plateau en altitude. Et un autre panneau sympathique: en cas de tremblement de terre ou d'éruption volcanique, descendez en courant... Vraiment? J'avais déjà les jambes bien compote, alors penser à courir...

La terre n'a pas tremblé. Pas ce jour-là. Le volcan, lui, s'est réveillé quelques mois plus tard, sans faire de blessés. Ça fait réfléchir!

Toujours est-il que ce jour-là, c'est le ciel qui s'est déchaîné en plein été néo-zélandais. Alors que nous atteignions le sommet, l'horizon s'est voilé de brouillard. Sorti de nulle part, il est tombé comme une pierre, a tout brouillé. Parce que c'est ce qu'il fait, le brouillard.

Il a laissé le champ libre à la neige et à la grêle, que nous n'avons pas vu venir. Bon été! Les multiples pelures d'oignon suffisaient à peine.

La descente sur les pierres volcaniques glissantes s'annonçait pénible. Les lacs d'Émeraude, dont la couleur perçait le brouillard, portaient bien leur nom. Ayant les yeux bien givrés, nous n'avons pas pris le temps de nous attarder.

Une accalmie nous a plongés dans un deuxième paysage lunaire majestueux qui nous faisait oublier un temps nos efforts.

La descente à travers la forêt nous a paru interminable, mais le sentiment d'accomplissement était plus fort.

Huit heures après le départ, transis, nous franchissions la ligne d'arrivée. Nous serions congelés pendant des heures après notre retour à notre auberge. Les vêtements secs et la douche bien chaude ne suffiraient pas. Difficile la piste de Tongariro? Pour l'amateur, certainement. Mais elle demeure incontournable.

Le souvenir et les leçons de Tongariro en tête, je m'envole cette semaine pour une randonnée sur le Machu Picchu. Vous me pardonnerez si les nouvelles du Pérou vous arrivent avec un décalage.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com