Les premières impressions

Avec mes nouveaux amis, j'ai exploré les plus belles terrasses d'Hanoi, les îles de la baie de Halong et les rizières de Sapa (notre photo).

On n'a pas deux chances de faire une première impression. Et rarement a-t-on la chance de revenir sur une décision à laquelle nous étions confrontés en situation de voyage. Alors quand la décision doit être prise strictement en comptant sur la première impression, il faut savoir faire vite.


Le beau côté de la chose, c'est que les voyageurs développent cette naïveté qui leur donne confiance en leurs semblables. On piffera rapidement le touriste qui trimballe ses mauvaises intentions. Les autres, comme nous, revêtant le même t-shirt aux deux jours, les godasses bien usées, ils inspirent la confiance d'emblée. Mais encore...

Encore faut-il passer outre les différences évidentes et mettre en commun cette passion qui nous unit.

J'avais quitté le Japon pour le Vietnam. Si ces deux contrées asiatiques peuvent sembler voisines sur une mappemonde, elles paraissent particulièrement distantes une fois dans les airs.

L'appareil de China Airlines s'est d'abord posé quelque part au sud de la Chine. Une escale comme toutes les autres, pour regarder le temps passer et s'imaginer qu'on ne rentrera jamais à la maison.

Une escale pour rager contre le wi-fi, pour se demander si on mangera dans l'avion ou s'il est préférable de s'offrir une collation hors de prix quelque part en zone internationale. Une escale pour se rappeler qu'on n'a pas emballé de vêtements chauds dans son bagage à main et que la clim mène une bataille à finir avec notre système immunitaire.

L'escale, c'est aussi le moment de toiser les autres voyageurs. On regarde les couples bruyants, les jeunes enfants, cet homme taciturne au regard sombre, et on croise les doigts pour ne pas voisiner untel pour la dernière portion du trajet. Avouez, on le fait tous. On étire même le cou, parfois, pour apercevoir le numéro de siège d'untel, juste pour moins languir.

Donc dans cet aéroport chinois, j'ai rapidement identifié un jeune couple. Elle avait les dreadlocks qui lui allaient au milieu du dos, les pantalons bouffants typiques des pays sud-asiatiques et le sac à dos 70 litres bien rempli. Il avait les cheveux longs en bataille, la barbe négligée et l'accoutrement d'un bourlingueur de longue date. En un mot : hippies!

Le hasard nous a attribué des sièges côte à côte dans l'avion. Choc de culture assuré simplement à nous regarder l'allure. La nuit tombait. Nous n'avons pas échangé un mot. Un sourire peut-être, mais pas un mot.

L'avion a touché la piste à Hanoi, minuit passé. Un visa étant nécessaire, les étrangers se sont alignés devant le comptoir des autorités. Là, simple formalité. Pour ceux qui ont préalablement rempli le formulaire en ligne, les billets de banque et la patience achètent tout. Dollars américains et dongs vietnamiens étaient les seules devises acceptées.

J'ai tendu mon passeport et j'ai attendu. Le jeune couple me suivait, a fait de même. Puis, l'homme a brisé le silence. «Je sais qu'on ne se connaît pas et que c'est vraiment bizarre, mais nous n'avons que de la monnaie chinoise. Tu pourrais nous aider à payer pour nos visas?»

Minuit passé, pas un guichet automatique à l'horizon et un aéroport qui se vide à vitesse grand V, j'ai mis quelques secondes à réfléchir. Y'avait cette première impression. Mais leur sincérité ne faisait aucun doute.

Minuit passé, j'ai cru que dans leur situation, j'aurais bien aimé qu'on me tende la main et une cinquantaine de dollars américains. Dès lors, j'acceptais qu'on venait peut-être de me flouer. J'ai payé de bon gré.

Une quinzaine plus tard, sans chambre d'hôtel qui les attendait, sans idée du chemin qu'ils prendraient pour quitter l'aéroport, les deux Australiens ont passé les douanes leur visa en poche. Nous avons partagé le taxi; ils se sont installés au même hôtel que moi.

Au premier regard, rien ne nous rapprochait. Pourtant, nous sommes rapidement devenus inséparables. Nous avons assiégé les plus belles terrasses d'Hanoi, nous sommes fait avoir deux fois plutôt qu'une dans les agences de voyages bidons et avons exploré la baie de Halong en nous baignant dans ses eaux turquoise.

Nous avons partagé une cabine étroite d'un train-dortoir vers Sapa, avons marché au coeur des rizières et avons eu quelques frousses avec les policiers locaux. Mais ça, c'est une autre histoire.

Au moment de dire au revoir, une dizaine de jours plus tard, nous nous sommes promis de ne pas verser de larmes. Lui a fini par rentrer en Australie. Elle, elle a poursuivi son chemin autour du globe, jusqu'à me retrouver trois mois plus tard à Buenos Aires.

J'ai récupéré mes 50 $ et une autre amitié était née.

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