Le pays de l'Oncle Sam, il a aussi une panoplie d'avantages. Mais je n'y peux rien, y'a ce quelque chose qui ne colle pas.
Au volant d'une rutilante Mitsubishi louée, quelque part au Nevada sur une route rectiligne qui n'en finissait plus de traverser un désert, j'écoutais les mêmes tubes pop en boucle. Parce que c'est ce que la radio crachait: les même tubes, over and over. J'ai eu cette réflexion: jamais je ne pourrais faire ma vie aux États-Unis. Obama aura beau scander les «Yes we can», moi, j'peux pas.
Quoique!
Quoique j'en connais une qui saurait me convaincre du contraire. Si c'était pour passer ma vie à San Francisco, si on me promettait que le Big One ne frapperait pas avant plusieurs décennies, j'emballerais tout pour ces collines et ces vallons californiens.
San Francisco, je l'avoue, notre relation n'a pas commencé sur les chapeaux de roue. Si mes bagages ont abouti à New York plutôt qu'à Fisherman's Wharf, tu n'y étais pour rien. Je t'en ai tenu rigueur un brin quand même. Parce que je tombais de fatigue. Et qu'il fallait bien blâmer quelqu'un.
Il y a ce système de BART, le métro quoi, qui nécessite toute notre attention pour bien comprendre quand on quitte l'aéroport. Ça aussi, je l'ai retenu contre toi. C'est ta faute aussi si je suis un peu lent.
Je suis arrivé dans la frénésie. La frénésie de tes Giants qui venaient de remporter la Série mondiale. Sous ton soleil de plomb, les héros du jour ont défilé jusqu'au Civic Center.
Tu m'as présenté deux des meilleurs amis du monde, qui vivent beaucoup trop loin et qui, comme moi, à défaut d'apercevoir quoi que ce soit à travers une marée de partisans, ont bu des confettis en prenant un bain de foule. Je les ai aimés bien avant toi, mais tu marquais des points de les avoir mis sur mon chemin.
Je suis tombé sous le charme un instant, sur un petit banc en bois, les genoux dans le front, dans un boui-boui l'air de rien, au coeur du quartier chinois. Fallait deviner qu'on était les bienvenus dans ce restaurant improvisé. On a traversé la cuisine, grimpé l'escalier chancelant et réclamé une des quatre tables dépareillées à l'étage. Mon coeur battait plus fort.
J'ai gravi tout seul les pentes que dévalent les cable cars, ai abdiqué devant ta topographie déboussolante. Mon sens de l'orientation à toute épreuve suintait d'efforts. J'avais laissé l'orgueil au bas d'une côte que je ne retrouvais plus.
J'ai vu la puissance déferlante du Pacifique. Elle m'a frappé en pleine gueule et mis K.O. un instant. J'en ai perdu l'équilibre. Ocean Beach, c'était bien plus qu'une plage où s'échouaient des vagues anonymes. C'était le Pacifique dans toute sa splendeur. J'ai paralysé, me suis presque effondré. Il y a la beauté, et il y a Ocean Beach au soleil couchant. Je te le dis juste à toi: j'ai presque pleuré.
Le temps s'est arrêté. J'y aurais passé toute une vie. Un peu plus encore, probablement. Je me suis calé dans le sable et j'ai laissé l'obscurité l'emporter, assommé, coi comme une bécasse qui aurait perdu le nord.
J'ai monté et redescendu chacune de tes côtes, toisé tes Painted Ladies comme si j'avais grandi à un coin de rue de là, parcouru les cellules d'Alcatraz sous une chaleur écrasante. J'ai vu cette folie au fond des yeux des San-Franciscains qui ne sauraient passer une journée sans apercevoir leur baie. La baie de San Francisco, comme une promesse...
San Francisco, c'est bien plus que le Golden Gate Bridge. C'est ce brouillard qu'on laisserait nous envelopper comme d'autres hument les fumets louches de Haight-Ashbury. C'est Castro et le Presidio. C'est cette envie de s'égarer sans jamais retrouver son chemin.
San Francisco, c'est l'exception qui me ferait traverser la frontière sans jamais regarder derrière... San Francisco, c'est mon rêve américain à moi.
Suivez mes aventures sur mon blogue www.jonathancusteau.com