Tout le monde se fera avoir

À Bangkok, il faut négocier le prix de son taxi ou de son tuk-tuk avant la course elle-même.

S'il y a une chose qu'on doit accepter quand on débarque à l'étranger, c'est qu'on nous prendra forcément pour des guichets automatiques ambulants. Même après avoir porté les mêmes trois t-shirts pendant des mois, même en ne trimballant pas d'objets scintillants, on attirera les regards comme si des panneaux lumineux en forme de dollars clignotaient au-dessus de notre tête.


J'ai donc appris que, où que j'aille, je dépenserai beaucoup trop d'argent la première journée. Parce qu'il me faudra le temps pour m'adapter, pour apprendre le vrai coût des choses.

Avouez qu'il est bien tentant, pour un vendeur de rue, de demander trois fois le prix pour sa bouteille d'eau. Quand le touriste naïf s'émerveille de ne devoir sortir que deux caribous du fond de sa poche, M. le vendeur, lui, en profite. Tout le monde est content.

Sauf qu'il est bien là le malaise. Quand on passe deux semaines à Tahiti ou à Bangkok, on se demande bien ce que ça peut faire. Les quelques sous versés en trop permettront peut-être à une famille complète de manger à sa faim. So what? Pour nous, la différence n'est tellement pas majeure.

Sauf que... Sauf que cette façon nonchalante de payer plus pour un même service envoie le message qu'on peut profiter des touristes. Qu'il est normal de payer un bien en fonction de la couleur de notre peau plutôt qu'en fonction de la valeur de l'objet en question. D'une façon, on encourage les commerçants à poursuivre leur escroquerie. Et si on faisait pareil ici, on dirait quoi?

Reste qu'être conscient du problème permet souvent de l'éviter. On se renseigne, on observe les autres et on exige le même prix. Quoiqu'il y ait quelques histoires d'horreur et qu'il soit préférable de lâcher prise plutôt que de s'exposer à la colère d'un escroc.

Parler la langue locale peut être un avantage. À défaut de baragouiner plus qu'un « holà » ou un « Guten Tag », il faut souvent être ferme pour montrer qu'on ne se laissera pas avoir. Même quand les marchands se montrent persévérants.

À Shanghai, par exemple, les fausses cérémonies de thé sont légion. Elles vident les comptes de banque plus vite qu'elles ne remplissent les tasses proposées aux touristes. Entre les jardins Yu et People's Square, les jeunes femmes feront de l'oeil aux hommes seuls. À moins que ce ne soient de prétendus étudiants qui s'en prendront aux plus jeunes.

Après avoir demandé à l'étranger de capturer un cliché d'eux, ils engagent la conversation. Heureux hasard, ils sont aussi en visite. Heureux hasard, ils marmonnent quelques mots dans votre langue. Heureux hasard, le Canada les passionne plus que tout au monde.

Avide de rencontres, de nouvelles expériences, le backpacker se fait souvent prendre au jeu. Avec ses nouveaux « amis », il assiste à une cérémonie qui lui coûtera parfois plusieurs centaines de dollars. Suffit de se perdre un peu dans la conversion des monnaies pour se laisser embobiner. Et vlan! Le couple d'étudiants retourne à People's Square à la recherche de nouvelles victimes.

En Thaïlande, il faut négocier son taxi ou son tuk-tuk, cette espèce de carrosse installé derrière une motocyclette, avant le début d'une course. Quand on suggère un prix et que le chauffeur accepte d'emblée, c'est forcément parce que c'est trop cher. Il faut miser plus bas la prochaine fois.

Un de ces jours où j'avais perdu mon pari à la première tentative, j'ai lancé à mon chauffeur que je voulais être à mon auberge le plus tôt possible. Après tout, je le payais bien. Ce qui ne l'a pas empêché de me faire subir le même tour qu'à tous les autres touristes, à une nuance près. En échange de mon manque de combativité, il a fait preuve d'honnêteté. Il m'a raconté dans quoi il m'embarquait.

Le tour? À Bangkok particulièrement, les tuk-tuks s'arrêtent toujours en chemin, dans une boutique de bijoux ou chez un tailleur réputé. C'est que les commerçants échangent cette publicité gratuite contre des crédits d'essence pour les chauffeurs. Ces derniers seraient fous de s'en passer. Et il y aura bien au moins un étranger sur dix qui finira par mordre et dépenser.

Ainsi ai-je été forcé de me pointer chez le tailleur, qui s'amusait à m'offrir des tissus pour me confectionner un habit sur mesure. On voyait à son regard qu'il savait qu'il ne tirerait rien de moi. Il s'amusait néanmoins de me voir chercher un moyen de m'échapper.

Et il y en aurait bien d'autres : ces escrocs, dans un temple, qui prétendaient nous initier à un rite traditionnel en nous forçant à verser une contribution, ces fausses agences de voyages du Vietnam, qui prennent le nom et l'adresse de leurs concurrents pour berner les clients, ou ce chauffeur de taxi de Jordanie qui, en prétendant ne pas avoir de monnaie, est reparti avec trois fois le montant entendu avant la course.

Chaque fois, il y a un peu d'expérience qui entre...

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