Les raisons de trembler, de s'enfermer sous les couvertures à l'hôtel, les rideaux bien tirés, sont partout quand la peur montre les dents. Tout ce monde, là dehors, qui ouvre les bras, reste rempli d'embûches toutes plus séduisantes les unes que les autres.
Séduisantes parce qu'elles composent les plus belles histoires à raconter. Séduisantes parce qu'elles forcent à une débrouillardise et à un contact avec la population locale qui n'ont pas leur pareil.
J'ai appris à éviter les colères. À accepter qu'au premier jour chez l'étranger, je me ferai nécessairement flouer, soit à l'hôtel, soit dans le taxi, soit en payant ma bouteille d'eau trois fois le prix. J'ai appris à rire des malaises provoqués par deux dialectes qui s'entrechoquent sans partager un même son en commun.
Mais il y a un truc qui me rend toujours nerveux. Le visa, cette permission qu'un pays nous accorde de traverser ses frontières, provoque toujours cette profonde envie de soupirer. Pour la bureaucratie. Pour toutes ces cases blanches aux questions parfois indiscrètes. Pour le temps d'étude de notre dossier qui nous fait languir.
Il y a tous ces pays où le visa est offert à la frontière, comme une taxe d'entrée. En Jordanie, en Turquie, au Cambodge, il suffit souvent de demander. Ailleurs, la tâche nécessite un investissement plus important.
Comme pour entrer dans l'empire de Mao, en Chine. Les forums internet relaient les histoires d'horreur. On raconte que la moindre erreur nous vaudra un refus...
Ainsi suis-je arrivé à Hong Kong avec la seule intention de me présenter au bureau des visas, tous les documents exigés bien en main. Vingt minutes de marche au pas de course pour battre l'horloge qui annonce la fermeture des bureaux pour bientôt. Détecteur de métal. Eau confisquée. Une salle pleine de demandeurs.
On voulait tout savoir: les villes à visiter, les pays dans lesquels on s'est posé auparavant, le nom des parents, leur profession, leur lieu de naissance, l'adresse de tous les hôtels où on dormira. Problème! Quand on fait de son sac à dos sa maison, on sait rarement plus de quelques jours à l'avance où on dormira.
Vingt minutes au pas de course vers l'auberge. Vite, trouver l'adresse de quelques hôtels qui sauraient m'héberger. Stress! Ai-je bien compris la seconde question? Dans quelle case faut-il signer?
Troisième «marathon»! Détecteur de métal. Salle toujours bondée.
Au comptoir, en jetant à peine un oeil à mon formulaire, la préposée m'a tendu un reçu. «Revenez dans deux jours pour recevoir votre visa.» Routine, quoi. Soupir!
Idem au consulat du Brésil, au Portugal, où le fait d'avoir en main toute la documentation ne suffit pas. Comme dans «Les douze travaux d'Astérix», on nous ballotte du premier étage au troisième, du deuxième au premier. «Parle pas anglais», qu'on me dit en pointant le comptoir d'information.
Ici, les soupirs, ils venaient en paquets de dix. Ce sont pourtant ces signes d'exaspération qui ont amorcé une discussion avec une compagne d'infortune un tantinet plus patiente que moi. Avocate de formation, elle se proposait de m'aider.
Bien qu'on lui ait annoncé qu'il me fallait un rendez-vous pour être reçu au consulat, chose que je n'avais pas, la dame n'allait pas accepter qu'on lui dise non. À sa suite, du premier étage au troisième, du troisième au deuxième, j'ai cheminé dans la bureaucratie. Dans un portugais qui convainquait même le touriste allophone que j'étais, elle m'a décroché un rendez-vous en même temps qu'un sourire.
Et elle s'en est allée sans même me dire son nom...
Deux jours plus tard, je récupérais mon passeport avec la permission d'atterrir au Brésil. Une semaine plus tard, je foulais les plages de Rio à l'ombre du Corcovado. J'avais une histoire de plus à raconter... mais je n'avais pas soupiré pour rien.
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