Pas sorti de l'auberge

Les auberges peuvent avoir des allures bien différentes, comme ce bâtiment entouré de clôtures de sécurité à Hollywood.

Je venais de passer toute une nuit cramponné à une rigide couchette de train. La nuit d'avant itou. J'ai cherché l'entrée du métro pendant une quinzaine avant de comprendre qu'il me fallait prendre un bus pour m'y rendre. Et j'ai pris le bus... et le métro.


<p>Certaines auberges offrent le luxe de lits individuels, côte à côte, plutôt que des lits superposés.</p>

Certaines auberges offrent le luxe de lits individuels, côte à côte, plutôt que des lits superposés.

(La Nouvelle, Jonathan Custeau/La Nouvelle, Jonathan Custeau)

Y'avait le soleil. Le smog. Cette chemise à manches longues qui me paraissait une bonne idée quand je suis monté dans le wagon-dortoir. Je fondais dans la foule qui m'avalait, dans l'anonymat de millions de Chinois qui déambulaient dans Pékin. Je fondais dans la chaleur, surtout.

Une quinzaine de kilos de bagages sur le dos, à tenter de déchiffrer les noms de rue, je devenais soudainement grognon. C'est que j'avais comme une envie de me poser, au frais, de changer de vêtements et de prendre une douche. Mais j'en étais encore au milieu d'une foule grouillante.

J'ai enfin trouvé mon auberge de jeunesse, dans une petite rue achalandée où des restaurateurs transféraient des boyaux de porc d'un seau à un grand sac de plastique, en plein parmi les passants. L'odeur! Après la paperasse et le jeu de la gestuelle pour être compris, j'attrape enfin la clé de mon dortoir à quatre lits.

Le rêve. Midi! Dans ma tête, je me voyais m'asseoir sur le lit quelques minutes, réorganiser des bagages qui avaient souffert un tantinet des transports des derniers jours et reprendre mes esprits.

Le loquet a grincé. La lumière ne filtrait tellement pas par l'entrebâillement que j'en ai retenu un blasphème. Misère! Midi, dois-je le rappeler. Il y avait là deux lits superposés. Quatre matelas en tout. Deux d'entre eux étaient occupés par des voyageurs endormis...

Ceux-là, je les trouvais déjà antipathiques. Moi qui suis d'une discrétion exemplaire pour ne pas réveiller mes cochambreurs, en temps normal, je devenais celui qu'on abhorre. Celui qui fait le plus de bruit possible. Qui se fout qu'on tente de récupérer. Qui s'attarde un peu trop à froisser ses sacs de plastique pour bien sentir le boucan. Midi! Y'a toujours bien des limites.

Mes bagages, je les ai réorganisés. J'ai pris tout mon temps pour me poser. Et je suis parti me rafraîchir, un nuage d'intolérance à ma traîne. Parce que ce jour-là, c'en était trop.

Les auberges de jeunesse, qui n'ont de jeunesse que le nom, ce sont des gens qui dorment à toute heure du jour et de la nuit, parfois. Des gens qui vont et qui viennent dans une chambre où on essaie de dormir. Des matelas dernier cri ou des bouts de ressorts dans une rembourrure qu'on dirait de bois. Une salle de bain digne d'un palais ou des douches communes à la propreté douteuse. On trouve de tout, et c'est bien ce qui fait le charme de l'aventure.

Ce jour-là, au royaume de Mao, je m'étais promis de ne pas m'excuser d'avoir troublé un sommeil tardif. Même si j'ai un penchant poli.

Je suis repassé par ma chambre. Les rideaux avaient été ouverts. Une jeune Française replaçait ses couvertures. J'avoue, j'ai été poli un brin. Plus fort que moi. On a fait connaissance. Elle et moi. Et son copain américain. On est restés là pendant des heures, entre deux lits superposés à nous raconter nos vies.

On s'est finalement mis d'accord pour prendre un peu d'air. De smog plutôt. Pour aller fouler la place Tian'anmen. L'obscurité était déjà tombée. Cette journée, que j'avais déjà hâte de voir à la lumière du jour, je l'avais passée entre quatre murs d'une auberge à papoter avec des étrangers qui n'avaient rien de chinois.

Lui, elle, ils ont passé une semaine complète à moins de deux mètres de moi. Toujours. Non seulement nous partagions le même dortoir, mais nous avons également erré ensemble jusqu'à la grande muraille. Nous avons partagé les repas. Nous nous sommes cramponnés l'un contre l'autre dans le métro... Nous avons ri à négocier des babioles dans les marchés chinois. Nous avons vécu le moment présent et nous avons tissé des liens qu'on ne brisera certainement jamais. Tant pis pour la première impression.

Les auberges de jeunesse, elles me permettent d'économiser. Me volent parfois du sommeil à cause du bruit. Sont une excellente référence pour apprendre à connaître une ville. Manquent parfois d'eau chaude dans la douche. Sont parfois le lieu de rassemblement de jeunes fêtards. Sont parfois le lieu de rassemblement de jeunes professionnels.

Les punaises de lit, les sommiers qui font couic-couic, les odeurs de voyageurs épuisés, l'internet gratuit, les tours guidés improvisés, le bordel de ceux qui dispersent le contenu de leur valise partout, les jeux de société avec des étrangers, j'ai connu. Dans plus de 70 auberges sur cinq continents. Et je finis toujours par y retourner. Parce qu'au-delà d'un endroit pour dormir, les auberges, elles me donnent les plus beaux souvenirs de voyage. Surtout, elles m'apportent des rencontres, des amis qui font toute la beauté de mes escapades outre-mer.

Suivez mes aventures au www.jonathancusteau.com