La nuit, tout n'est pas gris

Dans le calme relatif de la nuit chinoise, nous nous sommes émerveillés devant cette bicyclette qui aurait autrement passé inaperçue. Pour les souvenirs qu'elle évoque, dans l'objectif du photographe, il ne peut s'agir que d'un chef-d'oeuvre.

Il y a ceux qui voyagent pour se reposer... Qui se laissent border dès que le soleil a rejoint son lit et qui font la grasse matinée avant de retourner s'allonger sur la plage.


<p>Du Bund, la vue sur le quartier des affaires de Shanghai est magnifique, particulièrement la nuit.</p>

Du Bund, la vue sur le quartier des affaires de Shanghai est magnifique, particulièrement la nuit.

(La Nouvelle, Jonathan Custeau/La Nouvelle, Jonathan Custeau)

Il y a ceux qui vivent de nuit, aussi. Qui regagnent leur lit en même temps que l'obscurité prend congé. Ceux-là verront la faune des bars et connaîtront d'une ville les bonnes adresses pour se déhancher sous les boules disco...

Moi, quand vient le temps de scanner mon passeport, je fais de l'insomnie volontaire. Certains se surprendront que je laisse le sommeil à la maison. Mais c'est qu'une ville prend une tout autre allure quand on la parcourt de nuit. Essayez pour voir.

Remarquez, je ne m'aventurerais pas dans la noirceur dans tous les coins du monde. Y'a des fois où il est préférable de savoir demeurer sagement à l'intérieur.

Comme cette fois où j'ai entrepris de traverser à pied la ville d'Ayutthaya, en Thaïlande, au crépuscule. Pas que les rues désertes me donnaient vraiment de quoi m'inquiéter. Quoique... Ces mêmes rues désertes sont tout à coup beaucoup moins accueillantes quand un chien errant vous prend en chasse, tous crocs dehors. Les chiens errants, en Thaïlande, ils n'ont pas l'air en forme... Tout à coup, on regrette de ne pas avoir reçu le vaccin contre la rage. Et on décampe à vitesse grand V.

Il n'a pas été persévérant, le méchant chien, et mes mollets s'en sont tirés sans canines plantées dedans. Mais ç'a été suffisant pour me dire qu'il me fallait être un tantinet plus prudent.

Parce qu'avant ça, il y avait eu cette bonne idée de m'aventurer dans les dédales de Shanghai une fois la plupart des Chinois rentrés. Si la ville grouille de plus de 23 millions d'âmes le jour, au crépuscule, on atteint un calme relatif.

Mon capuchon bien calé sur ma tête pour éviter de détonner, comme si ça pouvait fonctionner, j'ai tenté de trouver une boîte de nuit qu'on m'avait conseillée. Ce n'est pourtant pas ce que j'ai déniché.

Le touriste, ou simplement l'homme esseulé qui déambule dans la noirceur, se fait systématiquement aborder. On nous offre des «massages». Si on décline, on nous explique que ce ne sont pas des massages réguliers. Comme si on n'avait pas compris. Et quand on réussit à semer un de ces proxénètes, un autre prend le relais. Mieux vaut rentrer au bercail.

Il reste qu'avec un compagnon fraîchement rencontré, j'ai jeté un oeil différent sur Shanghai le lendemain. Le Bund, cette promenade en bordure de la rivière Huangpu, offre un point de vue superbe sur les gratte-ciel illuminés du quartier des affaires. On aperçoit quelques navires qui circulent encore et on se demande pourquoi c'est Paris qu'on appelle la Ville Lumière.

Nous nous sommes aussi approchés des jardins Yu, fermés pour la nuit, mais avons tout même pu nous imbiber de l'atmosphère que les lanternes créaient avec l'architecture bien particulière du secteur. Il y avait là un décor qu'il nous fallait croquer en photo.

Ce qu'il y a de bien, à errer à deux dans la nuit, c'est que la destination importait peu. Nous profitions du moment, si bien que nous nous sommes émerveillés devant une vieille bicyclette abandonnée au coin d'une rue. Dans nos têtes de voyageurs, nous venions de trouver le sujet photo idéal pour illustrer la beauté du désordre chinois.

Agenouillés au coin d'une rue, un verre de carton et un briquet comme trépied, nous attirions l'attention des passants avec nos têtes de Blancs aux divertissements saugrenus. Ces Chinois ignoraient bien ce qui nous impressionnait autant. Mais nous, nous forgions des souvenirs qui ne s'effaceraient pas de sitôt. Et nous disposons d'un cliché dont l'esthétisme n'impressionne que nous.

À Hong Kong, en soirée, il faut traverser la baie de Victoria vers Tsim Sha Tsui pour regarder le spectacle de sons et lumières sur les gratte-ciel de la ville. Le pot, j'ai eu droit à un deux pour un en m'y pointant par hasard le jour où on procédait à une heure pour la Terre. La prestation annulée m'a tout de même permis de voir cette énorme ville plongée dans une quasi-noirceur quand les lumières se sont éteintes pour une heure.

Même veine à Paris, quelques années plus tôt quand, du haut de Montmartre, j'ai vu le Sacré-Coeur et la Tour Eiffel disparaître dans l'obscurité pour une heure. Preuve que parfois, less is more, et que la nuit, tout n'est pas gris.

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