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Pour moi, il y a eu Berlin, en Allemagne. Il y a quelque chose à Berlin qui nous étreint et nous commande de ne pas partir. Ce n'est pas l'architecture, pas l'antipathique commis du métro non plus. Berlin a ce je-ne-sais-quoi.
Pareil pour Tartu, en Estonie. Tout y est calme l'été. Le reste de l'année, les étudiants envahissent l'université et donnent un second souffle à cette agglomération bâtie en bordure de la rivière Emajogi.
Et il y a le Cambodge. Tout le Cambodge. Pas qu'on s'y sente particulièrement à l'aise d'emblée. Pas qu'on souhaiterait s'y incruster vraiment. Mais il y a quelque chose, là, qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Il y a, au Cambodge, cette envie de vivre au rythme du temps qui nous berce, rien de plus, rien de moins.
Le Cambodge, c'est la réponse que je donne du bout des lèvres, après quelques contorsions de l'esprit, quand on me demande le pays que j'ai préféré. Pas qu'on puisse réellement choisir. Comparer des pays, c'est comme mettre les pommes et les oranges en opposition. Mais parce que tout le monde veut une réponse...
Je suis donc arrivé à Phnom Penh comme au bout du monde, à la gare d'autobus au coin d'une rue terreuse où les commerçants et les chauffeurs de tuk-tuks se bousculaient. Les tuk-tuks sont ces chariots accrochés à l'arrière d'une motocyclette et qui servent principalement au déplacement des touristes. Le Blanc derrière la vitre du bus, ils l'ont repéré rapidement. Ils voulaient faire des affaires.
Je me suis installé dans un tuk-tuk qui m'a trimballé, à basse vitesse, à travers la poussière et la circulation un brin désordonnée. Le chauffeur m'a abandonné devant un hôtel sans porte. Des geckos couraient çà et là sur les murs et le plafond.
Dans les rues de la capitale, j'ai croisé des moines. J'ai vu des enfants qui vendaient des babioles. J'ai surtout vu à quel point les Cambodgiens sont beaux. Beaux de profiter de la vie malgré peu de moyens. Beaux de savoir s'amuser avec des inconnus dans les rues où tout le monde descend une fois la chaleur accablante tombée. Un simple ballon suffit. L'esprit de communauté, les Cambodgiens l'ont encore.
Quelques jours plus tard, j'arrivais à Battambang. Mêmes rues terreuses. Même terminus improvisé au coin d'une rue. Un homme m'attendait, mon nom inscrit sur un bout de carton. J'ignore encore comment il a su que j'arrivais. Il m'a demandé d'être mon chauffeur.
Sur sa mobylette, il nous a entassés tous les deux en plus de mon sac à dos de 60 litres. Après un arrêt à l'hôtel, il m'a conduit dans la campagne. J'ai traversé un champ verdoyant sur un minuscule sentier rougeâtre, sur une deux-roues qui manquait de puissance. Le soleil se couchait pendant que des nuées de minuscules chauves-souris s'envolaient en essaims. Je n'avais jamais été aussi heureux d'être perdu.
Le chauffeur m'a raconté les khmers rouges qui ont torturé puis tué son père. Il m'a guidé de l'autre côté d'un pont de fer d'où on voyait des enfants patauger dans une rivière brune en nous envoyant la main. À un marché de fortune en bordure de route, il m'a surtout sélectionné un corossol, un fruit cambodgien, qu'il a insisté pour payer avec sa pitance. Je ne lui ai jamais dit que je n'avais pas aimé le goût.
Ainsi en débarquant à Siem Reap, à peine l'autobus immobilisé au coin d'une rue, j'étais déjà marqué par un peuple. Il me restait encore à voir les temples d'Angkor Wat, véritable complexe inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.
Là, j'ai rencontré un chauffeur qui m'offrait de m'accompagner jusqu'aux temples pour toute une journée. Et bien sûr, il faut généralement négocier le salaire. Celui-là, toutefois, demandait moins que le prix raisonnable qu'on m'avait préalablement suggéré de payer.
Le lendemain, à 4 h 45 du matin, avant que le soleil ne se lève sur les temples, il se trouvait à la porte de mon hôtel. Celui qui conduirait son tuk-tuk toute la journée, dans une humidité qui détrempe les vêtements en moins de deux, portait une chemise blanche et un pantalon propre. Son travail, il le prenait très au sérieux.
Deux jours durant, il m'a permis de me véhiculer. Il m'a recommandé les meilleurs points de vue pour prendre une photo, m'a prêté son parapluie quand la saison des pluies s'est déchaînée.
Pendant qu'on avançait, que je voyais défiler dans les hautes herbes des enfants qui vivaient dans des maisons de fortune, qui faisaient leur toilette avec un seau d'eau au fond de la cour, j'ai souri. Souri comme un idiot. Parce que le bonheur le plus pur, il se trouvait bien plus sur la banquette du tuk-tuk que dans n'importe quel objet matériel. La richesse, elle se calcule parfois en moments. La richesse, elle est aussi au coeur d'un peuple qui me permettait de dévorer son pays un coup d'oeil à la fois, les yeux grands ouverts.
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