Je ne m'improvise pas donneur de leçons, bien au contraire. Y'a juste toutes ces fois où je m'interroge, où il faudrait prendre une décision là, là, sans attendre, mais où je ne trouve pas de réponses aux vraies questions.
Je suis un recycleur compulsif. Celui qui remplit son bac vert avec tout, tout, tout. Qui ne laisse pas passer le moindre petit bout de papier, le moindre petit emballage de plastique. La poubelle peut bien mourir de faim.
Mais voilà, au coeur de la grisaille chinoise, où l'eau du robinet ne me faisait pas envie, où j'achetais les bouteilles d'eau en format deux litres, j'ai cherché les consignes, les triangles à trois flèches, ai tenté de dénicher les fibres écolos. Niet! Poubelle!
Ouch! Le jupon de l'égoïsme voyageur dépasse. La bonne volonté, quand on disparaît outre-mer, des fois, elle prend le bord.
La vraie indécision, toutefois, se dresse dans l'humain qu'on a devant soi. Celui qui nous laisse tambouriner le sol de son pays de nos godasses occidentales. Celui qui fait les courbettes pour nos vulgaires pièces de monnaie... de véritables lingots d'or sous ses palmiers. Celui qui sert aux panses rebondies, dans les restaurants, des mets tous plus copieux que toute son épicerie du mois dernier...
La vraie indécision, elle vient devant l'enfant. Celui qui vaut de l'or parce qu'il est mignon. Celui qui tend ses menottes au riche touriste pour recueillir quelques oboles. Celui qui comprend que demander sans offrir en retour finira bien par lui remplir le bec à un moment ou à un autre.
Je repense souvent à ces gamins aperçus au Cambodge. Il y avait ceux, pieds nus, dans la saleté du coin d'une rue, qui jouaient au soccer comme s'ils disputaient la Coupe du monde. Il y avait ces autres, au détour d'une rue pavée de Phnom Penh, qui apparaissaient avec leur chargement de marchandise.
Une fillette d'une dizaine d'années m'a tendu des bracelets de tissu. En Asie, les enfants, ils vendent des bracelets. Pour un dollar américain, un trésor incommensurable, j'ai cru poser une bonne action, faisant mine d'être comblé par quelques fils tressés.
Aussitôt, un jeune garçon a bondi. Il fallait acheter de lui aussi, bien sûr. Il avait peut-être sept ans, huit au plus, son chandail à l'effigie de la Ligue des superhéros. Sous un soleil de plomb, il négociait le prix des babioles qu'il tentait d'écouler, sans adulte pour le superviser.
Le coeur serré! Il aurait dû s'user les méninges sur les bancs d'école. Les bibles de voyageurs recommandent d'ignorer les mioches qui piaillent pour quelques sous.
Forcément, s'ils deviennent pourvoyeurs, les enfants, on les trouvera chaque jour au milieu des rues. Seuls. Comme des appâts à prédateurs. Avec cette impression qu'ils pourraient disparaître sans que personne ne pose vraiment de questions.
Quel sort pour ce garçonnet, s'il rentrait les mains vides? Quel sort pour cet enfant si un touriste mal intentionné l'agrippait de ses mains sales?
Le petit superhéros, il m'a suivi une quinzaine de minutes dans les dédales de la capitale cambodgienne. J'ai cédé! Un dollar contre un (autre) bracelet et la permission de le prendre en photo. Parce que je voulais partager son histoire. Trouver quelqu'un qui saurait m'indiquer s'il aurait été préférable de résister, d'être catégorique. Parce qu'il est trop lourd d'imaginer ce qui frapperait le marmot au coin d'une autre rue, au détour d'une autre vie.
Je n'ai pas trouvé de réponse. Lose-lose situation, comme disent les anglophones.
Et je m'interroge encore, en visitant les bidonvilles en Afrique du Sud, où on distribue des bonbons aux enfants, pour se donner bonne conscience, sans savoir s'ils ont même une brosse à dents. Où on donne aux écoles en étant parcouru d'un frisson de voir les maternelles transformées en zoos miniatures, là où les tout-petits deviennent des attractions.
Idem dans les favelas du Brésil, où on visite caméra au cou une cité sous le contrôle des trafiquants de drogues. Où on fait danser les enfants en échange de pourboire. Où on nous fait entrer à l'orphelinat qui bénéficie des profits liés aux visites guidées.
Quand les enfants arrachent le coeur des étrangers, ils deviennent des vaches à lait qu'il est plus avantageux d'exploiter que d'éduquer...
Quand on a les poches assez profondes pour traverser un océan, un continent, en perçant le ciel bleu et la nuit noire, on préfère croire que les sommes dépensées contribuent à éliminer la pauvreté qu'on a pourtant zyeutée.
Je me prends à espérer que ce soit le cas. Et je conserve le bracelet du petit superhéros en souhaitant que le billet que je lui ai tendu l'ait vraiment envoyé à l'école...
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