Je n'ai pas eu peur. Pas cette fois-là. Sauf que la tête me tournait un peu d'imaginer ce danger qui me pendait au bout du nez.
C'est que deux semaines pile, poil auparavant, je célébrais le jour de l'Indépendance dans Manhattan. Les policiers étaient partout, les agents de sécurité scrutaient, l'air sévère, mon visage de barbu. On a fouillé mon sac encore et encore, fouille aléatoire, disait-on, au cas où on m'aurait découvert de mauvaises intentions. J'ai l'air de ça, paraît.
Les hélicoptères grondaient sans arrêt pendant que touristes et New-Yorkais affluaient par millions le long de la rivière Hudson. Des dizaines de rues, entre la 42e et le 10e environ, avaient été fermées pour simplifier la vie des piétons. Comme la tradition le voulait, une fois la nuit tombée, la chaîne de magasins Macy's lancerait des feux d'artifice pour égayer les célébrations.
Le souvenir du 11-septembre était encore présent. Les rassemblements populaires constituaient un risque de tous les instants. Un risque calculé que j'avais accepté.
Une fois les derniers pétards lancés, les quelque huit millions de spectateurs se sont précipités vers le métro pour rentrer chez eux. D'un coup! Embouteillage piétonnier. Marée humaine sans précédent. Pour moi à tout le moins. Toucher le sol de ses pieds et respirer un bon coup étaient deux actions qu'on ne pouvait mener simultanément.
J'étais perdu quelque part... 42e Rue. Un peu plus à l'ouest que Lexington Avenue, j'en conviens, mais, sans mauvais jeu de mots, tout de même à un jet de pierre du lieu de l'explosion. Si jamais la détonation s'était fait entendre ce soir-là... Si jamais huit millions d'individus avaient pris panique en s'engouffrant dans toutes les bouches de métro jusqu'à Grand Central?
Tout à coup, j'ai compris que voyager était une sorte de loterie. On peut débarquer en Syrie la peur au ventre et en ressortir indemne. Quoique je ne le ferais pas. On peut débarquer à Paris ou Punta Cana et être victime du mauvais sort.
Ce mauvais sort, je l'ai un tantinet en aversion. Il y a quelques semaines, je planifiais mes vacances d'été. L'Europe me faisait de l'oeil. Dans un grand bocal, j'ai mis le nom de pays que je n'avais pas encore explorés, qui piquaient ma curiosité: Croatie, Danemark, Pays-Bas, Turquie, Suisse...
Après une courte tempête d'idées, j'ai tranché. La Turquie! Le Bosphore, le mystère d'un pays à cheval sur l'Europe et l'Asie, les formations rocheuses de la Cappadoce, les mosquées et leurs minarets, le bazar... Je sentais déjà les épices du marché, goûtais déjà les baklavas.
Mais voilà! Les manifestants ont envahi la place Taksim, à Istanbul, le parc Gezi, aussi, où des arbres devaient être abattus pour construire une caserne ottomane abritant un centre commercial.
Lentement, la résistance s'organise. Le premier ministre Erdogan, accusé de dérive autoritaire par les protestataires, refuse de plier. Sa patience a des limites, dit-il...
Le jour de mon arrivée prévue au pays d'Atatürk, dimanche, le parti du premier ministre, l'AKP, compte lancer sa campagne à Istanbul en vue des élections de 2014... Chronique d'un affrontement annoncé!
Partir ou pas? Le voyageur en moi n'a jamais eu les pieds plantés dans un sol aussi argileux à quelques jours du départ. Mais jusqu'à preuve du contraire, mon avion se posera bel et bien à Istanbul dimanche. Et je serai tout près du hublot pour toiser la ville d'en haut.
Fou, vous dites? Peut-être pas tant que ça. D'une part, la contestation demeure confinée à plusieurs lieux précis. À éviter, donc. D'autre part, les lieux touristiques et les petits villages ne semblent pas plus menacés qu'ils l'ont été ici lors du printemps érable. On relativise!
Il reste que je lis quotidiennement sur les développements en Turquie. Que je consulte le très pratique voyage.qc.ca, site du gouvernement canadien qui émet ses recommandations pour chacun des pays dans le monde. À ce jour, il ne déconseille pas encore la Turquie, mais recommande une grande prudence. Prudent, je le serai.
Et comme pour chaque escapade, en pays hostile ou non, j'ai profité du service «Inscription d'un canadien à l'étranger» sur ce même site. Nom, destination et coordonnées suffisent pour retracer les voyageurs en cas d'évacuation, de catastrophe naturelle ou de détérioration de la cote de sécurité.
En souhaitant ne pas en avoir besoin...
Suivez mes aventures en direct au www.jonathancusteau.com